
Orientation sud-sud-est. Pleine luminosité. Pas un reflet. Comme toujours, elle a trouvé l’endroit parfait. J’ai quelques minutes de retard. Je m’installe rapidement au tabouret, dos contre le mur, nuque bien calée. Je n’attends pas longtemps. La porte s’ouvre là-bas au fond. C’est reparti. Elle passe la première, il la suit de près. Depuis l’entrée, il jette sa mallette dans un coin, comme si l’objet n’avait aucun intérêt. Il semble pressé, fébrile. Il la saisit aux hanches. Elle le repousse en riant. « Attends », semble-t-elle murmurer. Elle va directement vers la baie vitrée, lève les derniers stores. Elle ne me cherche pas. Elle sait que je suis là, quelque part, caché dans la forêt d’immeubles qui lui fait face.
Je vois tout maintenant, précision affolante. Le luxe de leur suite, les tons choisis, le mobilier dépouillé, sauf pour l’immense lit, et même la nature morte avec guitare, qui pend au mur, reproduction du juan gris dans son encadrement d’aluminium brossé. Elle reste figée contre le carreau, elle ne bouge pas. Sa robe rouge fait une tache électrique dans la lumière de midi. Elle se perd dans le trafic de fourmis qui s’étend à ses pieds, une centaine de mètres en contrebas. Le bourdonnement de la ville monte lentement, lui parvient assourdi. Elle est belle. Trop belle. Ça me reprend, je me mets à trembler. Et merde ! Je dois lui en parler, je sais. Elle me plaît ; c’est devenu trop risqué. En attendant, pas le choix. Il faut y aller.
L’autre s’approche à pas lents. Il lui saisit la taille, plus doux cette fois, pose de gentils baisers sur l’épaule que la coupe de son vêtement laisse dénudée. Elle ne se retourne pas. Elle lui caresse les cheveux d’une main négligente. Ses lèvres s’entrouvrent, sa paume se crispe. Elle la plaque contre la cloison de verre. Elle l’embrasse, goulue ; je la vois lui mordiller les lèvres à petits coups impatients. Elle a vraiment du talent. Ses grands yeux noirs montent vers le ciel. Elle me voit. Même si c’est impossible, je voudrais qu’elle me voie. Je sue malgré le vent qui s’engouffre par ma fenêtre ; grosses gouttes grasses le long du front, du dos, des mains. Je la veux, et c’est avec lui qu’elle est.
Du salopard, je ne distingue plus que le dos, l’arrière du crâne. Elle l’a coincé contre la vitre. Elle le dévisage, regard mutin. Déboutonne lentement sa chemise. Elle s’arrête à chaque bouton, lui taquine le torse de la pointe de ses longs ongles étroits. Elle sourit. Elle aime ce qu’elle fait, ça se sent. L’autre aussi, à le voir se dandiner. Quand elle fait ça, ce que l’autre ne sait pas, c’est qu’elle pense à moi. Je suis sûr qu’elle pense à moi. Elle sait que je la mate, et ça l’excite. Elle le déshabille, mais c’est mon corps qu’elle touche. C’est mon téton sous sa langue maintenant. Les types, entre ses bras, sont chaque fois différents. Il n’y a que moi qui reste, qui suis toujours là. C’est la dixième fois peut-être qu’on fait ça. Elle. Moi. Une équipe de rêve. Un couple parfait même si je ne lui connais pas d’identité. Les lois du métier…
Carmen. Inès. Pénélope, qui sait ? J’ai eu le temps d’essayer tous les prénoms sur sa peau sombre, ses prunelles charbon, ses cheveux de jais – et sur son déhanché, plus tard, pendant l’étreinte, cette convulsion torride qu’elle ne m’a jamais laissé voir et que je me plais tant à imaginer. victoria, pourquoi pas ? Voilà. Aujourd’hui, elle sera victoria. Elle est à genoux, disparue, désormais, de mon champ de vision. Dos au vide, l’autre est toujours là. Son crâne cogne parfois au verre ; le crétin est en train de s’emballer. Maintenant. C’est maintenant ou jamais. Elle est hors de portée, l’angle est parfait. J’attends. C’est une faute, je sais ; l’occasion ne se représentera peut-être pas. J’aime trop deviner ce qu’elle lui fait, là en bas. Je veux faire durer.
C’est d’abord sa main qui passe en frôlant contre le tissu du pantalon. Bruissement d’étoffe, soupirs chargés. La ceinture ensuite, qu’elle déboucle lentement ; les yeux brûlants, qu’elle relève une fois l’ouverture dégagée. Sourire timide lorsqu’elle l’extirpe de son sous-vêtement. L’imbécile s’agite. Avide, il avance les flancs. victoria recule, le fait patienter. Ses doigts vont et viennent, joueurs, paresseux. Ouverte, mouillée, sa bouche refuse d’aller plus loin. Il se tortille, gémit. Elle s’amuse de l’avoir à sa merci. Il se fait suppliant. Comme à contrecœur, elle finit par céder.
D’une main, elle le tient en respect, approchant la pointe de sa langue près du sexe tendu. Elle hésite, le regarde implorer. Finalement, elle lape le gland gonflé et l’aspire complètement. Il pose les mains dans ses cheveux et amorce un mouvement, mais elle s’arrête net. Il ne peut pas la commander. Lentement, il retire ses mains, désolé, et la laisse faire à sa manière. En bas, je sais que victoria commence à se demander ce que j’attends. Je ne sais pas ce que j’attends. J’ai ouvert mon pantalon et me caresse de ma main libre. Lèche, victoria, suce, happe ! Tu ne m’as jamais autant excité.
Elle se redresse et réapparaît, l’embrassant avec fougue et le branlant d’une main impatiente. Dans ses yeux, je vois une lueur que l’autre est trop agité pour remarquer. Tu doutes, victoria ? Tu te demandes si je suis là ? Aujourd’hui, c’est décidé, tu vas me montrer ce que tu ne m’as jamais montré. Tu vas aller jusqu’au bout, victoria. Pour moi. Rien que pour moi.
Il l’attire vers le lit, mais elle le retient, le surprenant. Elle sourit. « Attends », semble-t-elle murmurer à nouveau. Elle recule d’un pas et fait tomber sa jolie robe rouge et le triangle de dentelle noire. Nue, elle lui fait face, son corps lançant des éclats dorés dans le soleil de la mi-journée. Il s’avance, mais elle lui intime de rester où il est. Elle s’approche de la vitre, voulant jouer avec moi, je le sens. N’est-ce pas, victoria, que tu veux jouer ?
Elle se retourne et appuie son long dos brun contre la cloison de verre. Je ne vois plus que sa nuque, ses épaules, ses hanches évasées. Je m’agite. Elle est si proche, je voudrais la toucher. D’un claquement de doigts, elle fait tomber l’autre à genoux. Soumis, courbé, il se traîne vers elle comme un vieux chien fatigué. il disparaît maintenant de mon champ de vision, caché par le rebord. Elle lui offre son bassin, geste aguicheur de putain. Tapi dans mon réduit, j’essaie d’imaginer. Il te fouille, victoria, c’est ça ? Il passe sa langue entre tes lèvres, du trou jusqu’au bouton. Émerveillée, tu te fais mouiller. Sa bouche t’ouvre, t’aspire, et toi, tu gémis. Pas pour lui, non. Pour moi. Parce que c’est moi qui suis là, victoria, à tes pieds. C’est moi qui te suce, te bois. Surtout, ne l’oublie pas.
Elle me fait maintenant face. Son visage, ses seins, son ventre ; je vois tout. L’autre reste à ses pieds. Elle se cambre. « Entre les fesses. Lèche entre mes fesses. » Les mots se forment sur sa bouche, là-bas, de l’autre côté. Dans la lunette, c’est comme si je l’entendais murmurer ces mots. Soudain, elle redresse le regard et scrute les façades face à elle. Alors, je comprends tout. victoria, coquine… tu ne l’as pas fait mettre à genoux par envie, n’est-ce pas ? Tu voulais regarder par la vitre sans l’inquiéter, tenter de m’apercevoir, t’assurer que je suis là. Mais tu ne me trouveras pas, victoria, que crois-tu ? Il y a des centaines d’ouvertures face à toi, des milliers ; je suis trop bien caché. Fais attention, tu risques de tout gâcher.
L’autre a senti quelque chose et tente de se relever, probablement à bout. Il veut réclamer ce qu’il attendait sans tarder. Elle lui saisit le crâne et se cambre davantage. D’une main ferme, elle maintient sa tête enfoncée. « Continue. Je dirai quand tu pourras arrêter. » Déterminée, autoritaire, presque irritée… C’est comme ça que tu es la plus belle, Victoria. Elle scrute encore les immeubles, les yeux plissés, cherchant désespérément un signe de ma présence, mais elle ne voit rien. Le soleil lui mord les yeux, elle finit par renoncer, mordillant sa lèvre, inquiète et affolée. Et si elle était seule ? Et si on l’avait oubliée ? Ne pas paniquer. Surtout ne rien laisser paraître.
Elle relève l’autre, esquissant un sourire faux. Trop excité à l’idée du festin qui l’attend, il ne remarque rien. Moi, je sens ta frayeur résignée, Victoria. Ta peur m’électrise ; je me touche frénétiquement. J’ai pris le pouvoir. Par la queue de l’autre, je vais te pénétrer. Victoria s’allonge sur le dos et ouvre lentement les jambes. Humide, obscène, son sexe s’ouvre sur mon réticule. Je ne vois plus son visage, mais je devine ses hurlements.
« Prends-moi. Baise-moi sans pitié. » Elle est vulgaire, ordurière, sachant que j’adore ça. Le crétin s’arc-boute, l’agrippe au bassin et s’enfonce d’un coup. Il la pilonne avec précision, résolu. Il a un compte à régler ; elle l’a trop fait attendre. Victoria s’agite sur le lit, les mains crispées sur les draps. Je m’agite dans ma cachette. Ma main va et vient, mouvements saccadés. Je sens que je vais bientôt jouir.
Elle se redresse tout à coup, reprend le dessus. Elle le couche en travers du lit, l’enjambe et s’accroupit. Sa fente bâille près de la queue tendue. Tout semble suspendu. Elle lui met deux doigts dans la bouche. « Mouille-les », ordonne-t-elle. L’autre finit par obéir. Elle ramène sa main lubrifiée entre ses cuisses, frotte sa fente avec force. Coincée pour coincée, tu prends enfin ton pied. Tu vas bientôt me faire jouir, tu sais ?
Elle s’enfonce d’un coup sur le sexe tendu, surprenant l’autre. Elle rebondit, se fait aller en saccades pressées. Elle tourne la tête vers la lumière, vers le vide, vers moi. Elle hurle, me supplie. « Vas-y », semble-t-elle dire. Instant magique, je me garde de bouger. « Vas-y, maintenant. » Elle jouit, extase beuglante. Rivé à la lunette, j’accélère dans mon pantalon. Encore un effort, ma belle. Je suis tout près du but.
L’autre la met sur les genoux, s’agitant sur elle animalement. Lasse, elle se laisse faire. Toute autorité a disparu. Elle tourne la tête vers le fauteuil, vers la mallette. Puis, elle me regarde longuement, suppliante. « S’il te plaît », disent ses yeux mouillés. Je frissonne. Je l’ai soumise. J’ai gagné. J’accélère, plus frénétique que jamais. Je bascule la tête en arrière, grognant. Ma main se poisse.
Lorsque je replonge dans la lunette, rien n’a bougé. Victoria gît sur les genoux, visage dans les draps. L’autre, ridicule, va venir. Je ne lui laisserai pas ce plaisir. J’ajuste le réticule, vise son front, fais feu. Bruit d’enfer. La baie vitrée éclate en milliers d’éclats.
Je démonte le fusil avec des gestes précis. Je me retourne une dernière fois. La baie vitrée se lézarde, les vents s’engouffrent. Victoria, tache rouge au milieu du chaos, s’apprête à sortir. Elle revient, hurle face au vide, m’agonit d’insultes que la rumeur de la ville emporte.