Je me réveille avec le jour. J’ai dormi profondément, sans cauchemars pour me troubler. Je suis si bien que je refuse de sortir de mon demi-sommeil. En m’enfonçant dans des draps de satin, je réalise que je ne suis pas chez moi. J’ouvre les yeux et découvre une pièce immense, entourée d’une large baie vitrée. Le lit, au centre, est sans autres meubles autour, créant l’impression magique d’aucune séparation entre la chambre et le ciel. Je suis vraiment au septième ciel !

Les souvenirs de ma nuit avec Tobias reviennent lentement. Nous sommes restés enlacés au bord de la piscine, puis, l’air frais de la nuit nous a ramenés à l’intérieur où je me suis endormie presque aussitôt. Une vague de sensualité me parcourt tandis que des images torrides me reviennent en mémoire.

Je suis chez Tobias ! Curieuse, je cherche mes vêtements mais ne trouve rien dans la chambre presque vide, à part des tiroirs sous le lit contenant des vêtements de nuit et des draps. Tobias n’est pas à mes côtés, je décide donc d’explorer les lieux, nue, me sentant un peu audacieuse. Je sors de la chambre et arrive dans un salon tout aussi épuré, illuminé par une baie vitrée offrant une vue imprenable sur Manhattan. Le parquet est doux sous mes pieds, et le mobilier, bien que minimaliste, est d’une élégance parfaite. Tobias a intégré Manhattan à son appartement de manière harmonieuse, créant une sensation de grandeur sans vide.

Perdue dans mes pensées, je sursaute en entendant Tobias derrière moi :

  • Couvre-toi, on va te voir ! S’exclame-t-il, réprobateur, en m’entourant de son peignoir en soie noire. Ses bras chauds contrastent avec le contact glacé de l’étoffe sur ma peau. Je frissonne de plaisir quand ses lèvres se posent sur mon cou.
  • Et alors ? Penses-tu que les voisins vont venir se plaindre ? Demandé-je avec malice.

Nous éclatons de rire. Tobias est magnifique et son regard me trouble, ravivant le désir de la nuit précédente. Une pendule sonne à l’autre bout de la pièce, me ramenant à la réalité.

  • Il est déjà 9 heures ? Je vais être en retard ! Où est ma robe ? Je n’ai pas d’autres vêtements… Est-ce que j’aurai le temps de repasser chez moi ?

Paniquée, je tourne en rond. Tobias pose un doigt sur mes lèvres.

  • Chut ! Tout va bien : je vais te raccompagner. Ton premier cours n’est qu’à 10 heures.
  • Comment le sais-tu ?
  • Tu me l’as sans doute dit !

Je suis certaine de ne pas lui avoir communiqué mon emploi du temps, mais il a raison. Mon cours de dessin ne commence pas avant une heure.

  • Veux-tu que je te prépare un café ?
  • Non, merci.

Déconcertée, je m’habille à la hâte avec mes vêtements que Tobias avait rangés dans un dressing. Prêts à partir, son téléphone vibre. Il décroche, fronçant les sourcils, puis revient rapidement pour m’annoncer qu’il a une urgence à l’autre bout de la ville.

  • Ce n’est pas grave ! Je me débrouillerai.
  • Tu ne veux pas que j’appelle un taxi ?
  • Non, je file ! m’écrié-je avant de lui voler un dernier baiser. Je te promets de t’appeler tout à l’heure. Bonne journée !

Je me retrouve dehors, marchant plusieurs minutes avant de trouver un taxi. Bien que ce soit faisable avec des talons hauts, je fais très attention à ne pas abîmer mes chaussures. C’est plus difficile qu’il n’y paraît ! En robe de soirée en pleine journée, je me sens un peu décalée, mais à New York, personne ne semble s’en soucier. J’adore cette ville !

Je m’effondre enfin dans un taxi. Le chauffeur, typiquement new-yorkais, décrète qu’il ne me déposera qu’en haut de ma rue. Je termine donc le trajet à pied jusqu’à mon immeuble. Essoufflée et décoiffée, je monte les dernières marches.

  • D’où viens-tu comme ça, Cendrillon ? Tu as perdu ton carrosse ?

Je me retourne brusquement et tombe nez à nez avec Matt, assis sur les marches de l’immeuble voisin. Zut ! J’aurais préféré qu’il ne me voie pas ainsi. Il va encore poser des questions…

  • Matt, tu m’as fait peur ! Qu’est-ce que tu fais là ?
  • Est-ce que je peux entrer une minute ? Tu ne vas pas aller en cours habillée comme ça, je suppose ?
  • Très drôle ! Allez, viens.

À peine entrés, je pousse un soupir de soulagement en enlevant mes chaussures. Parfaites pour une soirée, elles sont un cauchemar en ville. Matt se laisse tomber sur mon matelas, un geste que je déteste et il le sait bien.

  • Trouve-nous des tasses, s’il te plaît, dis-je pour le forcer à se lever. J’ai besoin d’un thé.
  • Ton prince charmant ne t’a même pas offert le petit-déjeuner ?

Je n’aime pas son ton sarcastique. Depuis la douche, je cherche une remarque cinglante, mais rien ne vient. Quelque chose me chiffonne.

  • Tu ne m’as pas répondu, Matt. Qu’est-ce que tu fais là ?
  • Je t’attendais.
  • Pourquoi ? Demandé-je en sortant de la salle de bains, habillée d’un vieux jean et d’un tee-shirt trop grand. Je me sens plus à l’aise ainsi.
  • Quelle métamorphose ! Plaisante-t-il.

Son regard fuyant m’alerte. Je connais ce regard, et il ne présage rien de bon.

  • Matt, qu’est-ce que t’as fait encore ?
  • Rien… Ce n’est pas grave.
  • Donc, ce n’est pas « rien » ! Qu’est-ce que tu as fait cette fois ? Encore des graffitis ? À quel bâtiment t’en es-tu pris ?
  • J’ai besoin d’un coup de main, pas d’une leçon de morale, d’accord ? La police me cherche.

Devant mon air catastrophé, il ajoute :

  • Je t’interdis d’en parler à ma sœur : elle en ferait une maladie ! J’ai juste besoin de me faire oublier quelque temps, tu comprends ?

Non, je ne comprends rien. Cacher quelque chose d’aussi grave à ma meilleure amie ne me plaît pas, mais Matt insiste.

  • S’il te plaît, Eleanor… Je ne te le demanderais pas si je n’avais pas vraiment besoin de toi.
  • Je m’en doute, rétorqué-je en soupirant. Mais je ne vois pas comment je peux t’être utile.
  • La master class d’Aspen…

Je l’avais complètement oubliée ! Je commence à regrouper quelques affaires pour les deux jours à venir. Je remarque le sac de Matt.

  • Tu y participes ? Je croyais que tu n’y étais pas inscrit ?
  • Il faudrait que tu glisses un mot pour moi aux inscriptions.
  • Mais le départ, c’est tout à l’heure après les cours !
  • Je sais, je les ai appelés : ils ne veulent rien savoir.
  • Je m’en doute ! Je ne vois pas ce que je peux faire.
  • Je suis sûr que si tu leur parles… Celui qui gère le listing est en cours de sculpture avec nous. Il ne peut pas me saquer. Par contre, toi, il t’aime bien.
  • Tu dis n’importe quoi !
  • Allez, Eleanor, s’il te plaît !

Le regard désespéré de Matt finit par me convaincre.

  • Tu ne veux vraiment pas me dire ce qui se passe ? Son silence buté me répond. Je finis par céder
  • Je vais voir ce que je peux faire. Viens, il faut y aller, sinon je n’aurai pas le temps de passer le voir avant le début du cours.

Convaincre John, « le responsable du listing », n’a pas été si difficile : après quelques minutes de discussion, il a accepté d’intégrer Matt au séjour. Celui-ci est tellement soulagé qu’il m’a gratifiée d’une grosse bise sur la joue.

Je ne sais pas ce qu’il a fait, mais ça doit être grave…

La journée passe à une vitesse folle. À 19 heures, notre classe monte dans l’autocar, direction l’aéroport. Dire que je me suis réveillée ce matin dans un gigantesque penthouse où régnaient le luxe, le calme et la volupté… L'ambiance est totalement différente : les étudiants crient, se poussent et gesticulent dans tous les sens. Je parviens tout de même à trouver une rangée de sièges libres et me glisse contre la fenêtre. Matt s’installe juste à côté de moi.

  • Merci encore. Tu es une vraie amie !

Je hoche la tête. Je suis contente qu’il se sente mieux. Il a vraiment l’air plus détendu que tout à l’heure. J’espère seulement que je n’ai pas fait de bêtise en acceptant de l’aider. C’est sans doute pour cette raison que j’ai « oublié » d’appeler Audrey. Elle a laissé plusieurs messages pour savoir comment s’était passée ma soirée à l’Opéra.

Le car démarre. Je n’ai pas eu une seule minute pour appeler Tobias. Même si je meurs d’envie d’entendre sa voix, il est hors de question de lui téléphoner pendant le trajet : il y a trop de bruit et, surtout, ce n’est pas assez intime. Je voudrais préserver notre histoire. Elle n’appartient qu’à nous. Pour la première fois, je vis quelque chose de fort avec un homme. Je sens que tout cela ne fait que commencer. J’ai tellement envie d’y croire ! La nuit que nous avons passée ensemble était juste… magique. Il m’attire plus qu’aucun autre avant lui. Il émane de lui une telle sensualité ! Il me suffit de fermer les yeux pour revoir ses mains sur moi…

  • Eleanor ? Est-ce que tu connais le programme des ateliers ?
  • Hein ? Euh, non, je ne sais pas… Enfin, si, je dois l’avoir dans mon sac !
  • Inutile ! Ricane Matt. Si tu l’as « rangé », tu le retrouveras sans doute dans une dizaine de jours !
  • Oui, oui…

Un courant d’air vient de m’ébouriffer les cheveux. Le cerveau est bizarre parfois : il ne m’en faut pas plus pour être immédiatement transportée sur le bord de la piscine, dans les bras de Tobias. Il me manque. C’est fou ! Je ne l’ai quitté que depuis quelques heures ! J’ai du mal à croire que nous ne nous connaissons que depuis une semaine. Et encore, il ne m’a pas appelée pendant trois longues journées ! Mais il y a eu cette conversation inattendue au cœur de la nuit, ce dîner féerique chez Daniel et le ballet… Je sais que j’associerai toujours Tobias à la musique que nous avons partagée ensemble. Quel beau souvenir !

  • Décidément, je t’ai connue plus réceptive ! Tu n’as rien écouté de ce que je t’ai dit ! râle Matt.

Il a raison. Et j’aurais bien continué à rêver, d’ailleurs… Mon regard noir parle pour moi, mais ne décourage pas Matt :

  • Je te demandais si tu savais comment étaient réparties les chambres.
  • Pas la moindre idée !
  • C’est ennuyeux…

Matt voudrait sûrement que je lui demande pourquoi, mais la question ne m’effleure même pas. Je suis à nouveau dans les bras de Tobias, dans son salon, avec la ville pour écrin. Je sens une vraie fragilité chez cet homme. Je vois bien qu’il veut que tout soit toujours parfait. Il y réussit : je n’ai jamais rien vécu de tel. Mais j’espère avoir l’occasion de savoir ce que cache cette carapace. Quelqu’un qui nie le hasard à ce point a forcément vécu quelque chose de traumatisant…

L’aéroport est en vue. Sur la façade d’un immeuble, le numéro de téléphone d’un célèbre animateur de talk-show clignote. Une émission racoleuse qui prétend décrypter les invités en trente minutes. Du grand n’importe quoi. Je souris : après avoir jugé Tobias sur son apparence, voilà que moi aussi, je l’analyse à la va-vite ! Absurde !

L’avenir me permettra-t-il de mieux connaître celui qui a fait irruption dans ma vie ? C’est tout ce qui m’importe.

Nous descendons du bus en riant et en plaisantant. Ce master class est aussi une occasion de faire la fête entre amis pendant quelques jours. Contrairement à mes camarades, je n’éprouve pas le même enthousiasme. J’aurais préféré passer ce week-end avec Tobias. Je suis ici uniquement parce que les ateliers promettent d’être passionnants. On nous annonce trente minutes d’attente avant l’embarquement. Alors que les autres se dirigent vers le bar, je fais signe à Matt :

  • Je vous rejoins tout à l’heure.
  • Où vas-tu ?
  • Chacun ses secrets…, murmuré-je en m’éloignant.

Je dois aussi appeler Grand-Mère pour éviter qu’elle ne s’inquiète… et Audrey également. Mais je vais d’abord téléphoner à Tobias.

Difficile de s’isoler dans un lieu aussi ouvert. Après plusieurs minutes de recherche, je trouve enfin un siège vide à l’autre bout du terminal. Enfin seule !

Je compose le numéro de Tobias. Mes doigts tremblent. Pourquoi cela ? Je n’ai aucune raison d’être nerveuse ! J’ai hâte de l’entendre.

  • Parfums Kent, bonjour, dit une voix suave et mélodieuse.

Une femme. Mon cœur manque un battement. Je vérifie le numéro composé. Ai-je fait une erreur ? Non, c’est bien celui que Tobias m’a donné.

Qui est cette femme ? Je dois parler avant qu’elle ne raccroche.

  • Bonjour… Je… heu… Tobias m’a donné ce numéro…
  • Vous cherchez à joindre monsieur Kent ? me demande-t-elle.
  • Oui, c’est ça… Il est là ?
  • Vous êtes au standard.
  • Ah…

Tobias m’aurait-il donné un numéro professionnel ? Certainement : elle a annoncé « Parfums Kent ».

  • J’ai composé son numéro de portable.
  • Quand il est occupé, monsieur Kent nous transfère ses appels, m’explique-t-elle calmement.

Je comprends mieux : cette femme ne fait que répondre au téléphone. Tobias travaille. Il n’est pas disponible tout le temps. C’est logique. Mon pouls se calme.

Quel soulagement ! Il ne m’en fallait pas plus pour imaginer que Tobias avait quelqu’un d’autre dans sa vie. Quelle idiote ! Mais qu’est-ce qui me prend ?

Avant de raccrocher, je demande à la standardiste si elle sait quand Tobias sera disponible :

  • Un instant, s’il vous plaît. Je vérifie sur son agenda.

Une annonce évoque un embarquement imminent pour notre vol. Il est temps d’y aller si je ne veux pas rater l’avion.

  • Mademoiselle ? Je lis ici que monsieur Kent est avec madame Kent. Il vaut mieux rappeler demain.

Mon téléphone me glisse des mains et tombe au sol. Je n’en crois pas mes oreilles. Je ramasse le combiné et entends la voix de la jeune femme qui me demande si je suis toujours en ligne. Mais je n’ai aucune envie de lui répondre. Je coupe la communication, assommée.

Madame Kent ? Tobias est donc… marié ? Ce n’est pas possible… Tout ce que nous avons vécu n’était qu’un mensonge ? Suis-je la seule à avoir ressenti tout cela ? Ne suis-je qu’un jouet aux yeux de Tobias ?

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