Je consultais mon agenda. Il était 17 heures 15, l’heure de la séance avec ma patiente ménopausée et mélancolique. Avant son arrivée, je changeai le linge sur le coussin de mon divan. Elle avait la mauvaise habitude de fourrager dans ses cheveux, décollant des croûtes qu’elle examinait avant de les laisser tomber. Je soupçonnais même qu'elle les mettait dans sa bouche lorsqu'elle était seule.

Elle n'était pas vilaine, mais son apparence semblait figée dans le temps. Ses sourcils épilés en arcs de cercle, le fard bleu nacré des années soixante, ses bouclettes crantées et les couleurs ternes de ses tailleurs ne changeaient jamais. Depuis trois ans, date de ses dernières règles, elle venait s’étendre sur mon divan, mais il était trop tard pour lui offrir une nouvelle perspective sur son passé pour affronter le présent.

Récemment, elle allait vraiment mal et traînait dans les animaleries, cherchant un chaton comme on cherche un enfant. Peu importait la race, elle voulait combler son besoin de maternité. Elle voyait dans les yeux désolés des animaux un reflet de sa propre misère. Je remarquais que, semaine après semaine, son tour de taille s’épaississait.

Je lui avais suggéré des sites de rencontres, mais elle avait visité "Copains d’avant.com" et échangé des mails avec des cinquantenaires lubriques, ce qui l’avait choquée par leurs propositions ordinaires. Je regardais, impuissante et ennuyée, une agonie commencée il y a des décennies.

Curieuse et inventive, j’avais développé une technique personnelle inspirée des théories de transmission corporelle des inconscients et de communication non verbale. Dans le deuxième tiroir de mon secrétaire, je conservais des sextoys que j’utilisais selon la problématique de mes patients. Cette technique conditionnait non seulement l’attention flottante, mais aussi une certaine tension physique, donnant lieu à des interprétations percutantes, parfois surréalistes.

Pour ma patiente ménopausée, j’optais pour des boules de geishas contenant des billes métalliques. Leurs mouvements générant de petits chocs et roulements correspondaient parfaitement à son rythme lent. Je portais une culotte fendue pour faciliter les intromissions et, une fois installée dans mon fauteuil, je me laissais aller à de légers mouvements de va-et-vient et de rotations imperceptibles. En sollicitant les muscles de mon périnée, je passais d’une fesse sur l’autre. Une chaleur diffuse envahissait mon bas-ventre, se propageant dans tout mon corps.

Bercée par les plaintes monotones de ma patiente, je me sentais fondre sur mon siège. Le menton dans la main, je passais sous mon nez mes doigts imprégnés de mon odeur, inhalant discrètement.

  • Hier, je me suis sentie suivie, et tout d’un coup, j’ai réalisé que c’est moi qui marchais derrière un homme depuis plusieurs minutes. Qu’est-ce que cela signifie ?

Ses paroles me ramenèrent à la réalité, et je m'apprêtai à interpréter cette nouvelle confession avec la même curiosité détachée qui m’avait accompagnée tout au long de la séance.

Je répondais à ma patiente comme on répond aux enfants qui cherchent à confirmer ce qu'ils savent déjà :

  • À votre avis ?

Après son départ, une brève stimulation manuelle me suffisait pour atteindre la jouissance. En contractant mes muscles, je faisais jaillir les boules de geisha l’une après l’autre, accompagnées d’un flux de mouille, tout en massant et pressant mon clitoris avec énergie. Cette décharge me purifiait de la lourdeur mentale qu’elle m'avait imposée, me préparant ainsi pour le prochain patient. Je m’étais particulièrement attachée à Mechanical Max, l'un de mes premiers patients. C'était un bel homme dans la quarantaine, abstinent depuis plusieurs années. Avec lui, j’étais mutique et glaciale, adoptant une attitude lacanienne parfaite. Pas de poignée de main, pas de contact visuel. Je soignais mes tenues car je savais qu'il les scrutait attentivement à son arrivée. L'ambiance de nos séances dépendait souvent des messages subliminaux que je transmettais à travers mes vêtements et mes parfums : un Guerlain rococo pour l’orienter vers des souvenirs de sa mère, une nouveauté de créateur pour le déstabiliser, ou une fragrance douce comme "Un Jardin après la Mousson" d’Hermès pour apaiser ses pulsions.

Mechanical Max était arrivé dans mon cabinet obsédé par les sextoys, obsession qu’il m’avait d'ailleurs transmise. Il avait beaucoup évolué depuis, se préoccupant désormais des orifices, cherchant à ouvrir et défoncer ce qui devait être fermé, à inverser le dedans et le dehors. Il aimait élargir son méat urinaire avec des miniplugs artisanaux. Pendant la masturbation, il se titillait cette petite fente, trouvant un plaisir intense.

Pour me sentir proche de lui, j’installais un plug anal avant son arrivée et restais assise dessus toute la séance. La dilation de mon anus augmentait mon empathie pour lui. L’inertie et le poids de mon corps, combinés à l’immobilité, relâchaient doucement mes sphincters, rendant mon esprit plus disponible. Je pensais à sa queue béante et rêvais de pénétrer son petit trou distendu avec ma langue. Mon esprit fertile étant ma zone érogène la plus sensible, sa présence mettait mes nerfs à fleur de peau. Je calais ma respiration sur la sienne, ponctuant son récit de petits mouvements ou bruits pour l’encourager.

Mon rêve serait d’y faire entrer un doigt féminin, les deux dernières phalanges d’un petit doigt, par exemple. Un joli doigt fin, à l’ongle bien limé...

En séance, un tintement de mes bracelets ou un soupir léger incitait Max à poursuivre ses associations. Si son discours s’interrompait trop longtemps, le crissement de mes bas en décroisant les jambes le ramenait à la réalité. Il me parlait des vidéos qu’il visionnait sur « Stile Project », notamment d’une femme se doigtant le col utérin. Ce site proposait des vidéos pornographiques mais aussi des monstruosités : moignons, fractures ouvertes, pustules sur le scrotum, etc.

Le soir, devant mon écran, j’explorais l’imaginaire de mon patient, cherchant à comprendre l'intérêt qu’il trouvait à ces fantasmes. Curieusement, cela augmentait mon attirance pour lui.

Quand il s’allongeait sur mon divan, je détaillais ses traits renversés : ses cheveux drus et épais, ses larges mains aux doigts longs, ses poignets massifs qu'une seule de mes mains ne pourrait encercler, et sa bouche charnue. Sa voix, étonnamment douce et juvénile, contrastait avec son allure. J’attendais ses séances avec une impatience de moins en moins professionnelle.

Quand il entrait, sa grâce lourde et plantigrade m’enivrait de son odeur, évoquant le cuir tanné et l’héliotrope. Sa présence embrumait mon esprit et rendait tout plus intense. La vue de ses poils de torse dépassant du col en V de son T-shirt m’émoustillait, me donnant envie de glisser ma main et de palper ses pectoraux musculeux. Mon ventre se contractait de désir. Les plugs ne me suffisaient plus, même mon préféré incrusté de cristaux Swarovsky ne faisait plus effet.

Je décidais de faire un tour chez Rebecca Rils, le supermarché érotique du boulevard de Clichy, avec ses beaux néons violets et ses gros caddies à l’entrée. Noël approchait, et les touristes affluaient en groupes bruyants. Un homme testait la sensation d’une badine sur sa paume, tandis que sa compagne essayait des colliers de chien. Des adolescents béaient devant l’énorme choix de godes multicolores.

  • Je vous fais un paquet-cadeau ?

Je m’informai sur les nouveautés auprès des vendeuses, des étudiantes étrangères finançant leurs études. J’avais sympathisé avec Magda, une étudiante en master 2 de psychologie, qui analysait le cas d’Henry Darger dans son mémoire. Nous parlions souvent de cet artiste singulier dont l'œuvre, découverte après sa mort, décrivait des aventures d’Angéliques, nymphettes souvent nues et pourvues d’organes génitaux masculins, dans un univers mêlant innocence et sadisme.

Je flânais dans le magasin, caressant le vinyle des longues robes de dominatrices. Je me disais que ces deux archétypes féminins opposés partageaient une caractéristique : l’interdiction du toucher, qui implique la réciprocité. Pour moi aussi, en tant que psychanalyste, c’était une règle... pour l’instant.

Sur les conseils de Magda, j’essayai le vibro Cry Baby avec une télécommande discrète que je pouvais cacher le long de l’accoudoir de mon fauteuil. Cette merveille technologique, avec ses cinq niveaux de vibrations, me mettait en transe, me procurant des orgasmes silencieux frôlant la syncope.

Puis, un phénomène étrange se produisit. L’univers fantasmatique de Mechanical Max vint court-circuiter le mien. Des flashes me traversaient l’esprit : Max me plaquait contre le mur, me tenant la gorge d’une main et me pénétrant de ses doigts de l’autre, écrasant mon clitoris du pouce. Il me harnachait avec sa ceinture et m’enfilait violemment. Il murmurait des insultes à mon oreille, déchirait ma robe et me jetait au sol, me forçant avec sa queue brute, emplissant ma bouche de son goût puissant et âcre...

Mon patient tenait à son abstinence, mais je n’étais pas liée par le même vœu, et mon envie devenait dévorante. Je voulais devenir son obsession, comme il était devenu la mienne.

Je commençai par lui serrer la main, parfois de façon prolongée. Je m’arrangeais pour croiser furtivement son regard. Je le frôlais en le raccompagnant. Je souriais. Puis je portais l’estocade.

Je gardai pendant plusieurs heures un carré de soie dans ma culotte, afin de l’imprégner de ma mouille (mon smegma, pour reprendre le terme utilisé par la petite salope du roman de Charlotte Roche, Zones Humides, à qui j’avais piqué l’idée. Je ne poussai pas le vice jusqu’à m’en mettre, comme elle, derrière l’oreille. Chacun ses limites !).

Puis j’étendis le tissu en question sur le coussin du divan, là où il posait sa tête.

  • Un souvenir me vient aujourd’hui, je ne sais pas pourquoi. J’avais sept ans et j’accompagnais mon père, qui était photographe pour des revues de charme. Un jour, pendant qu’il installait ses projecteurs, je me suis retrouvé dans la salle de bains avec le modèle, une grande fille charpentée, avec des jambes immenses et des seins qui débordaient du peignoir. Je la fixais avec des yeux ronds. Tout d’un coup, elle prit ma main et la posa sur son sexe. Je me souviens encore de cette sensation, ce truc vivant, velu, qui happa mes doigts dans une fente visqueuse. J’étais pétrifié de terreur. La fille éclata de rire et lécha ensuite ma main avec des mines gourmandes. Et là, il me semble encore sentir cette odeur et mon pénis se recroqueville...

Tu m’étonnes ! Ce n’était pas le but recherché, mais je venais sans le vouloir de remonter au traumatisme originel. Toutes ses théories sur les sextoys, la confusion des orifices, ce n’était qu’un montage intellectuel destiné à masquer sa peur viscérale du sexe féminin. Un peu plus, et il se faisait récupérer par la grande confrérie homosexuelle. Et ça, il n’en était pas question. Ce magnifique spécimen de mâle devait rester à disposition des femmes. Nous payons déjà un assez lourd tribut au lobby gay !

Je sortis de ma réserve :

  • Vous venez de faire un grand pas. La semaine prochaine, c’est notre dernière séance avant Noël, je vous propose de changer un peu notre façon de travailler.

Il semblait déstabilisé. À ma merci.

  • Puisque nous avons identifié l’objet phobique : le sexe féminin, je vais utiliser les techniques de désensibilisation des comportementalistes. Il faut vous confronter progressivement à ce qui vous effraie tant. Vous êtes d’accord ?

La semaine suivante, quand mon patient entra, j’avais déjà inséré Genius Secret Vibe, télécommandable à distance. Ladite télécommande se trouvait dans un joli paquet-cadeau violet posé sur le divan.

Intrigué, Max tourna les yeux vers moi. Ce jour-là, je soutins son regard.

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