Lorsque la sonnette a retenti, je luttais depuis un bon quart d'heure contre une torpeur difficile à maîtriser. J’ai dû rassembler toute ma volonté pour relever la tête et chercher le tableau lumineux. Compartiment 3. La blonde au manteau de renard argenté avait besoin de mes services.

Je dois avouer que j'avais remarqué cette personne lorsqu'elle était apparue sur le quai, entre deux couples de belges au regard vineux. Il faut dire que son manteau de renard argenté attirait les regards. Une fourrure de cette qualité, accompagnée d'une jupe serrée, de talons à bride et d'une coiffure presque animale, ne pouvait me laisser indifférent.

J’avais aidé la jeune femme – elle n'avait guère plus de trente ans – à monter sa valise, et je me souvenais encore de son sourire. Un de ces sourires pleins de promesses, révélant une sensualité affirmée.

À cette époque – c'était dans les années soixante-dix – je terminais mes études et, pour gagner un peu d'argent, j'avais trouvé un bon filon : j'exerçais la fonction de conducteur de wagons-lits. Aujourd’hui, ce métier ne signifie plus grand-chose pour personne, mais à l'époque, c'était un emploi très recherché.

En effet, sur les grandes lignes nationales et internationales, il était courant de trouver, en plus des voitures couchettes (réservées au commun des mortels), des wagons-lits. Ces wagons étaient au train ce que les sofitel sont à l'hôtellerie, le summum du luxe. Marqueterie en acajou et bois de rose, coin toilettes en porcelaine et armoire murale contenant une carafe d'eau et deux verres en cristal, tous gravés aux armoiries de la compagnie internationale des wagons-lits. Je vous le dis, c'était le must du must.

Chaque voiture était donc affectée à un « conducteur », c'est-à-dire un homme chargé du confort des voyageurs – bagages, passeports (en cas de franchissement des frontières), petit-déjeuner, etc. –, ainsi que de la plupart des désirs d'une clientèle très aisée. Un factotum, en quelque sorte.

À ce propos, et sans forfanterie, il n'était pas rare qu'une cliente, voyageant seule dans un compartiment « single », fasse appel à des services plus privés que ceux prévus dans le manuel officiel. J’avais déjà eu quelques bonnes fortunes par le passé, mais cette cliente-là… la classe qui émanait d'elle m'avait troublé dès le premier regard.

À vrai dire, je n'imaginais pas qu'elle ait pu remarquer le simple employé que j'étais. Il en est ainsi de certaines femmes : elles éclaboussent tant la vie de leur beauté qu'elles ne peuvent prêter attention à leurs contemporains, encore moins au petit personnel en uniforme. Car il faut que je vous dise qu'à cette époque, les employés des wagons-lits portaient une vareuse à col mao, avec de gros boutons, et un képi à liseré doré qui gênait plutôt qu'autre chose. Jamais plus que ce soir-là, je n'avais regretté ma tenue « civile ».

Combien j'aurais aimé être en tenue de ville, blazer croisé, pochette assortie à la couleur de la cravate et chemise de soie. Peut-être aurais-je trouvé le courage d'engager une conversation et, sait-on jamais, aurais-je pu attirer l'attention de la grande dame. Mais il en était autrement, et j'étais resté sur ma réserve, comme il se doit des ancillaires.

Aussi, vers minuit, alors que le convoi filait dans la nuit ferroviaire, je fus surpris par son appel.

Quelques secondes plus tard, je frappai à sa porte. C’est elle qui m'ouvrit. Si j'avais été impressionné par sa fourrure, par le galbe de ses jambes, par son allure générale, ce n'était rien comparé à ce que je ressentis à cet instant.

Imaginez une apparition. Quelque chose d'improbable. Une perfection confinant au divin… elle était là, devant moi, cambrée comme une liane, le front haut, le regard direct, la poitrine tendant un déshabillé de soie grège dont les revers marron glacé soulignait l'élégance.

  • j'aurais aimé un peu de champagne, murmura-t-elle.

Et avant que je ne puisse intégrer sa demande, elle reprit avec un léger rauque dans la voix :

  • avec deux coupes, s'il vous plaît.

Un rapide frisson parcourut mon échine. Se pouvait-il que… et alors qu'elle refermait la porte dans un chuintement de bois précieux, une raideur violente prit naissance à mon bas-ventre.

Aussitôt, je retournai vers mon réduit et m'activai fébrilement. À peine le temps de choisir la plus glacée des bouteilles – en fait, je disposais d'une petite réserve de bouteilles de très grandes marques – et me voilà remontant le couloir, plateau en main.

Je frappai à nouveau à la porte, mais cette fois, personne ne vint ouvrir. Je frappai une seconde fois, sans plus de résultat. Alors, armé de mon plus beau sourire, et après avoir tiré, sans réel succès, sur ma vareuse pour tenter de cacher une déformation gênante, je fis jouer le pêne.

Encore aujourd'hui, je revois la scène comme si c'était hier. Dans la pénombre orangée du compartiment, je revois la femme alanguie, à demi allongée sur le lit. Je revois ses lèvres assombries par le désir, ses pupilles dilatées, sa poitrine fiévreuse débordant d'un désordre de soie, sa chevelure qui éclaboussait le lit de blondeur. Le mince drap ne cachait rien, ou presque, des courbes mouvantes et des trésors humides. C’était la sensualité incarnée. Il en est ainsi de certains êtres qui marquent à jamais ceux qui les ont croisés.

Je refermai la porte derrière moi, posai le plateau sur la tablette dans l'angle, puis m'escrimai sur la bouteille. Je dus m'y reprendre à deux fois, tant mes doigts tremblaient. Quand les deux coupes étincelèrent du breuvage divin, c'est le cœur battant que je présentai l'une d'elles à l'étrange voyageuse. J’hésitai à propos de la seconde coupe ; les lèvres féminines s'approchaient du cristal.

  • vous ne buvez pas ? S’enquit-elle en me couvrant d'un regard suppliant.

Sur l'instant, je vécus son invitation comme une montée d'adrénaline, une montée à l'échafaud. La beauté de cette femme, la fièvre qui l'animait, avaient tout pour impressionner le jeune homme que j'étais. Pourtant, je ne peux pas cacher que j'avais deviné le manège, et j'aurais juré de la suite des événements, mais quand la réalité dépasse le fantasme, on perd ses moyens. Il me fallut quelques gorgées pour reprendre mes esprits. La chaleur du champagne aidant, les bulles dorées dansant devant mes yeux, coulant dans mes veines, je pris l'initiative. La femme attendait de moi que j'apaise le feu qui brûlait en elle, je n'avais pas le droit de la décevoir.

Le premier geste qui me vint à l'esprit fut de plonger ma main libre dans ses cheveux pour en déranger l'ordonnancement. Elle se prêta à la caresse, allongea même le cou pour me faciliter la tâche, dans une attitude de chatte amoureuse. Puis, comme j'hésitais encore sur la conduite à tenir, ce fut elle qui me retira la coupe pour la poser sur la tablette à côté de la sienne.

Ensuite, tout se passa comme dans les films. Comme je me penchais pour étancher ma soif de ses lèvres, elle releva le buste, dévoilant un sein déjà dressé, une poitrine offerte, et elle entoura mon cou de ses bras fiévreux.

La suite s'apparente à un combat étrange, une chevauchée diabolique durant laquelle je ne mesurais pas mes efforts. Elle non plus, qui se multipliait tant que, serré entre ses cuisses, étouffées dans ses bras, perdu dans ses senteurs lourdes, j'avais l'impression qu'elles étaient plusieurs à m'aimer sauvagement dans le lit aux allures de champ de bataille.

Il y avait déjà longtemps que les draps étaient tombés sur le plancher, que son déshabillé avait disparu dans le même désordre, quand elle ralentit la cadence. Nue, le corps lové autour du mien dans un mouvement de liane d'où aucun homme n'aurait pu s'échapper, elle proposa une pause champagne. Heureux du répit, je sacrifiai au service, profitant de ces quelques minutes pour reprendre souffle.

Il y eut d'autres trêves, nous voyant vider une nouvelle bouteille, puis une autre. Mais, très vite, en femme insatiable qu'elle était, la blonde s'acharna sur mon bas-ventre jusqu'à me redonner vigueur.

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