
Les partiels approchaient.
Il fallait donc me donner bonne conscience et réviser. Mieux encore : être vue révisant. La bibliothèque de l’université offrait le moyen d’atténuer la culpabilité de n’avoir rien fait les derniers mois, et pire encore, de ne pas plus m’en inquiéter. Les nombreuses pauses avec les autres étudiants s’adonnant au même simulacre rythmaient les journées.
Ma meilleure amie Ève et moi ne pouvions être assises l’une à côté de l’autre sans glousser en permanence, ce qui avait le don d’agacer tout le monde et de neutraliser l’effet escompté : se convaincre soi-même qu’on révise. Nous décidâmes de nous positionner de part et d’autre d’une étagère de livres, pour ne pas être trop loin, et perdre l’aspect ludique du travail en bibliothèque.
Pour me rendre en ce lieu d’illusion, il m’importait d’être très élégante et séduisante, pour peaufiner la mise en scène, et faire des révisions un rituel agréable. Je m’offrais même les bas à couture en nylon dont je rêvais, ceux qui plissent élégamment sur la jambe et font un bruit suave quand je croise et décroise les jambes. Je répète ce mouvement quatre-vingts fois par quart d’heure. Je choisissais des talons hauts qui sonnent sensuellement sur le parquet de la bibliothèque, ainsi que des lunettes vintage de secrétaire perverse. J’ai pourtant une vue excellente. Je me faisais un chignon haut perché, que je pouvais nouer et dénouer à loisir, autrement dit, huit ou neuf fois par demi-heure.
Ainsi parée, j’attisais le désir lubrique de mes camarades, qui ne m’excitaient pas outre mesure, mais m’offraient d’agréables pauses déjeuner, pauses café, pauses sieste, pauses digestives, pauses intellectuelles, pauses gourmandes. Le plaisir était pour eux.
En mâchonnant mon crayon de bois, quelques idées se communiquaient de ma langue à mon cerveau archaïque : je n’hésitais pas à titiller du bout des lèvres l’extrémité du crayon pour partager mes envies avec quiconque me percevrait. Je ne suis pas égoïste ! Ève trouvait cela très amusant. Son amusement excitait davantage mon imagination.
Un matin, j’avais un présent pour elle, qu’elle déballa dans un coin discret de la faculté. J’avais acheté deux œufs vibrants à télécommande. À son regard, je voyais qu’elle était à la fois très gênée et très amusée, tentée par l’expérience. Sans dire un mot, je l’entraînai vers les toilettes dames, afin de mettre nos nouveaux jouets en place.
- J’y arrive pas, dit-elle.
- Je ne compte pas venir t’aider. Détends-toi, pense à ta folle nuit dans les bras de ces deux inconnus.
- Mais ça n’a rien à voir !
Elle avait le don de jouer les prudes, alors qu’elle avait plus d’expérience en matière de sexe que toute la faculté réunie : il faut dire qu’elle était aidée par un éminent professeur. D’ailleurs, il l’avait conviée à des soirées de débauche chez lui, auxquelles participaient ses propres enfants. Mais elle continuait à me raconter tout cela avec un air ingénu, et semblait peiner à faire glisser un petit sextoy tout doux dans son intimité.
- Mais dis-moi, dans quel orifice essaies-tu d’installer ta nouvelle prothèse ?
Elle gloussa.
- J’hésitais, figure-toi, mais restons classique pour le moment.
Nous échangeâmes les télécommandes. Elle m’envoya une décharge vibrante. Je m’esclaffai.
- Est-ce que tu crois que le bruit va s’entendre ?
- Ça ne s’entend pas plus qu’un vibreur de portable dans un sac.
- Donc, ça s’entend ! C’est violent, comme secousse !
Si les mecs savaient nous donner ce genre de coups de reins, la vie serait plus belle ! Hier soir, j’avais un mollasson dans mon lit, tu n’imagines pas l’enfer. Il a fallu que je prenne tout en main et il restait là, les bras en croix, la larme à l’œil. Non, vraiment, qu’on nous rende les vrais hommes. Les vicieux, les libidineux, les virils.
- J’ai un début de solution à nos problèmes, vois-tu.
Quand nous prîmes l’ascenseur vers la bibliothèque, je ressentais une appréhension étrange. Il était finalement plus perturbant que ludique de partager un tel jeu avec ma fidèle amie. Par le biais de la télécommande, tout se passait comme si, métaphoriquement, nous allions baiser. J’étais troublée, tandis qu’elle semblait calme et amusée par mes bêtises. Après tout, elle avait peu de barrières sexuelles.
Je décidai que nous serions installées de manière à voir nos visages, en étant trop loin pour nous parler, chacune à une extrémité des grandes tables de travail. La télécommande d’Ève était dans la poche de ma veste. Je glissai mes doigts à l’intérieur pour lancer les hostilités. Hop, hop, hop. Trois petits coups successifs. Je la vis retenir un éclat de rire et onduler sur sa chaise qui grinçait. Je me préparai pour la riposte. La coquine préférait me faire attendre. Impossible de me concentrer.
Je me levai pour chercher un livre. J’étais en jupe et ne portais pas de culotte. Je me demandais si l’œuf pouvait tomber, si je me relâchai, ou si je me mettais à rire. Sans surprise, elle décida que c’était le bon moment pour m’envoyer de bonnes vibrations. Hop, hop, hop. Rouge écarlate, je cachais mon visage derrière une étagère. Hoooppppp... La vibration ne s’arrêtait plus. J’étais paniquée. Était-ce une défaillance du matériel ? Je me retournai vers elle, qui affichait un large sourire. Elle le faisait exprès. Très bien, je ne l’avais pas volé. Mon ventre se contractait sur l’œuf vibrant. Je ne tardai pas à revenir à ma place, avec n’importe quel livre, ce que ma complice ne manqua pas de relever. Elle ne perdait rien pour attendre. Les vibrations cessèrent enfin : la cyprine me coulait le long des jambes. Je n’y avais pas pensé... J’imaginais la tache de mouille sur ma jupe claire. Heureusement, j’avais une longue veste en cuir, ce jour-là.
J’allais faire jouer le suspense, en me concentrant sur mes lectures pour de bon. Je me mis au travail, sans plus penser à elle, qui restait sur le qui- vive. L’œuf avait pris sa place en moi, je ne le sentais plus. Je reprenais mon groupement de textes sur La Vénus à la fourrure. En effet, je travaillais cette année-là à une confrontation des différentes interprétations de ce texte désormais tenu pour classique. Néanmoins, l’ouvrage continuait de mettre certains professeurs plus timides, ou plus touchés qu’ils ne voulaient bien le dire, dans l’embarras. J’érotisais mes études le plus possible pour fuir mon pire ennemi : l’ennui. J’étais donc captivée par l’interprétation que fait Deleuze de Sacher-Masoch. Je me concentrais au maximum pour oublier mon œuf, mon amie qui désirait sa décharge. Je voulais qu’elle ait oublié la sensation de l’œuf dans ses entrailles pour la lui restituer violemment.
Deux heures passèrent sans même que je jette un œil vers elle. Peut-être avait-elle quitté la salle. Il était temps de passer aux choses sérieuses. Je la cherchai des yeux, elle n’était, en effet, plus à sa place. Elle murmurait un peu plus loin à l’oreille d’un camarade. Elle lui parlait même de très près. Je peux même affirmer qu’elle était en train de l’allumer. Le moment opportun pour la rappeler à l’ordre. Sans doute me provoquait-elle. Ou bien me croyait-elle vraiment très concentrée. Elle ne regardait pas dans ma direction et je ne voyais pas son visage, tourné vers celui du jeune homme. J’hésitais. Mes doigts caressaient la télécommande dans la poche.
J’appuyais. Elle se dandina. Que c’était plaisant de la voir gigoter de cette façon, rejeter ses cheveux en arrière pour garder l’air naturel ! Une pression suffisait. Comme elle s’attendait à ce que je m’acharne pendant qu’elle conversait, je remis à plus tard son supplice vibrant. Elle avait d’ailleurs regagné sa place isolée en toute hâte, me lançant un regard tendre et complice. Ève était la créature la plus vicieuse au monde.
Elle se remit au travail ; je la surveillais du coin de l’œil. Le ciel m’envoyait un allié de taille. Notre doyen, surnommé Docteur ès Partouzes, se dirigeait à toute allure vers elle. Il était également son directeur de recherche, et l’invitait souvent à chercher ensemble tard le soir. Plutôt bel homme, mais si sûr de lui qu’il en devenait écœurant. Il n’avait embrassé cette carrière que pour sauter ses élèves, filles et garçons confondus. Et tout ce petit monde gravitait, prétextant l’amour du savoir.
Ce que Docteur ès Partouzes lui racontait avait l’air de la plus haute importance : il caressait sa barbe de trois jours, et la regardait avec insistance. J’avais presque des scrupules à la titiller à ce moment-là tant elle surjouait l’intérêt en n’écoutant pas ce qu’il avait de si urgent à lui demander. Au fond, elle méritait bien ces vibrations embarrassantes que je m’apprêtais à lui envoyer. Et même, elle les souhaitait sans doute, au vu de ce qu’elle avait fait avec ce type, qui, d’après elle, aimait tout particulièrement l’enculer à sec et savait y faire. Quel cochon !
J’appuyai donc sans relâche sur le bouton de l’appareil. Peu surprise, elle resta stoïque. Je ne la lâchais pas. C’était comme si elle était sous mon pouvoir, à mes ordres, au bout de mon doigt. À la longue, Ève semblait rougir. Les vibrations de l’œuf étaient en effet redoutablement efficaces sur l’anatomie féminine.
Docteur ès Partouzes devait croire que c’était son charme d’intellectuel un peu barbu et bedonnant qui la perturbait, ainsi que le souvenir des soirées passées. Il se masturbait frénétiquement le menton et bombait le torse. Pour sûr, il bandait. Je regardais ces deux-là se tortiller l’un en face de l’autre, comme des goujons en pleine parade. Mais c’était moi qui tenais les rênes, et cela, l’éminent Docteur ne le savait pas.
Soudainement, je sentis mon œuf vibrer. Quelle délicieuse coquine ! Elle me répondait, même en pleine conversation sérieuse. Ève devait être en feu, pendant que le professeur semblait intarissable. Quand enfin il la salua, elle s’effondra sur sa chaise. Mais je ne m’arrêtai pas pour autant. Elle non plus. J’avais envie de crier de plaisir. Je voulais qu’un homme m’entrave brutalement, tout de suite. Je voulais me masturber, pour me libérer. Ève et moi nous levâmes en même temps et sortîmes rapidement de la bibliothèque.
- Démoniaque.
- Jouissif.
- S’il avait imaginé ça ! Est-ce que ça se voyait, que quelque chose n’allait pas ?
- Non, non, je t’ai trouvée très calme. Il est tellement en érection de lui- même qu’il ne s’est rendu compte de rien. Et comment aurait-il pu penser que j’actionnais un vibro au fond de ta chatte.
- J’ai envie de baiser, c’est malin.
- Oui, moi aussi.
- Il m’a, en fait, proposé de le rejoindre maintenant dans son bureau...
- Veinarde. Il ne m’a jamais plu, mais il ferait bien l’affaire.
- Viens avec moi !
- Non... tu crois ? Non.
- Rends-moi ma télécommande !
Elle fila rejoindre Professeur Partouze. Je me retrouvais seule, frustrée. Je m’assis sur un banc de la cour. Je regrettais d’être finalement si peu aventurière. Mais il était trop tard pour les rejoindre. J’étais excitée par la situation, mais Monsieur Partouzeur n’était pas vraiment mon style d’homme, bien qu’il fût le premier à donner un orgasme à Ève. Je l’imaginais jouir, ma jolie Ève. Peut-être la désirais-je inconsciemment.
Mais ce qui me rebutait en lui, c’était ce côté universitaire vicieux, usant de son pouvoir et l’assumant, en affichant une bedaine d’intellectuel, celle de ceux qui passent plus de temps à table qu’à penser véritablement. J’apprécie des hommes d’esprit qu’ils soient sportifs.
Je me décidai à sortir de mes songes pour m’acheminer vers la boulangerie, pour acheter un sandwich, triste pitance de l’étudiant. En voiture, passait par là mon ancien amant. Au diable, les révisions : autant faire une place au plaisir. Je montai.
Il me porta dans ses escaliers, réussit à ouvrir la porte sans me reposer au sol, pour me jeter sur son lit et m’attraper avec vigueur. Impossible de me pénétrer. L’œuf était toujours là, je l’avais oublié !