Je m'apprêtais à monter dans le métro à Odéon lorsque, au moment où je soulevais ma valise pour la hisser dans le wagon, une main secourable s'en empara. Elle était assez lourde, cette valise, car je partais en vacances pour plus de deux semaines, emportant avec moi des vêtements d'hiver et surtout des livres dont je n'avais plus besoin à Paris, en prévision d'un futur déménagement. Je me retournai pour remercier l'inconnu : c'était un homme brun, au sourire franc et au regard malicieux. Il était grand – une tête de plus que moi – et vêtu d'un pantalon et d'une veste en velours vert bouteille. Mon regard fut attiré par le nœud papillon vert à pois blancs qu'il portait, et une pensée étrange me traversa l'esprit : « Le diable vert ! »

Le métro était bondé, toutes les places assises étaient occupées. L'homme me tenait par le bras alors que nous étions ballottés par les mouvements du train.

  • Je vous accompagne à la gare, me souffla-t-il.

Je ne répondis rien. De toute façon, il était impossible de discuter dans ces conditions, et cette situation commençait à m'amuser, voire à me séduire.

  • Pas le temps de prendre un café, c'est dommage, dit-il en consultant l'heure.

Nous nous dirigeâmes vers les voies. Le TGV était déjà à quai. L'homme au nœud papillon monta ma valise dans le wagon, la rangea sur le porte-bagages, puis redescendit.

  • Quand revenez-vous ? demanda-t-il.
  • Le 5 avril. C'est un mardi.
  • À quelle heure arrive votre train ?

Je fus surprise par la question, mais, comme le temps pressait, je répondis sans réfléchir :

  • À 20 h 46… Merci pour votre aide, ajoutai-je précipitamment avant de monter dans le train et de rejoindre ma place.

À travers la vitre, je le vis s'éloigner vers le hall alors que le train quittait la gare. Peu après, alors que nous longions les bâtiments administratifs de la gare et que nous croisions un train de marchandises recouvert d'une bâche grise, je ressentis une légère oppression. Mes pensées se mélangeaient, hésitant entre rationalité et imagination. Après tout, me dis-je pour me rassurer, cet homme ne connaît ni mon nom, ni mon adresse, ni mon numéro de téléphone. Il s'est montré prévenant, et c'est tout.

Il est probable qu'il ne sera pas à la gare dans deux semaines ; tout s'arrêtera là. Pourtant, pour la première fois dans ce train qui me conduisait à Nancy, je me sentais mélancolique. Je repensai soudain à une image peinte sur une boîte en fer-blanc posée sur l'étagère de ma cuisine à Paris, représentant une jeune femme blonde en manteau blanc dans un compartiment de train, tandis qu'un homme élégant lui tendait une boîte de bonbons sur le quai. Mon cœur se serra en songeant que c'était un cadeau d'adieu.

J'avais vingt-deux ans, diplômée de l'École du Louvre et poursuivant mes études dans une école d'art. Mon père, inspecteur d'académie à Nancy, me louait un studio à Paris. Parfois, je vivais avec un copain étudiant, mais nous nous sommes séparés, ayant peu d'affinités en dehors du sexe.

Je prenais régulièrement le train pour Nancy, où ma mère venait souvent me chercher. Nous habitions une grande maison avec un jardin que j'aimais contempler, suivant les saisons.

Mon séjour à Nancy se déroula sans surprise. J'étais heureuse de retrouver mes parents et leur tendresse. Lors de mes moments de solitude, je dessinais, souvent inspirée par cet homme au nœud papillon, le représentant sous les traits d'un diable séduisant et moqueur.

Le jour de mon retour à Paris, je ressentais un certain émoi en pensant à cet homme, tout en me disant qu'il ne serait probablement pas là. Mais il était là ! En descendant du train, je reconnus immédiatement sa silhouette élégante, vêtue d'un long manteau noir et d'un chapeau.

Il vint vers moi, m'accueillit chaleureusement et nous décidâmes d'aller boire un verre ensemble. Après une soirée agréable à échanger et à découvrir qu'il était magicien, nous avons fini par passer la nuit ensemble dans un hôtel proche de la gare.

Le lendemain matin, après un petit déjeuner silencieux, il me proposa d'échanger nos numéros de téléphone. Je me rendis compte qu'il avait déjà enregistré le mien dans son répertoire. Nous nous séparâmes en nous promettant de nous revoir pour un prochain voyage en train.

Produits liée

Découvrez nos autres rubriques Magazine :