Je m'éloigne de la clinique Ward, jetant un dernier regard dans le rétroviseur. L'atmosphère qui y règne m'est toujours aussi étrangère. Habituée aux hôpitaux publics, l'univers des cliniques privées me semble bien lointain. Moi, issue d'un milieu modeste, je dois paraître comme une étrangère dans ce monde de privilégiés. Le planning que Léna m'a donné me soulage finalement ; je n'aurai plus à croiser le docteur Law, si glacial.

Je viens de rencontrer le Dr Iceman et Mme Pic à glace ! Ces surnoms, que je viens de trouver pour le docteur Law et Léna Chaze, sont parfaits. L'homme de glace et son assistante en pic à glace. Je m'en souviendrai la prochaine fois que je les croiserai, cela me détendra !

Pourtant, j'aurais aimé montrer à ce Dr Iceman que je sais faire autre chose que bafouiller. Il le verra par ma fresque ! Je me promets de soigner mon travail, de donner le meilleur de moi-même pour lui prouver que je ne suis pas une idiote. Pourquoi cette envie de l’impressionner ? Pourquoi ce besoin de lui prouver ma valeur ?

Je secoue la tête. Ce docteur m’a laissé une impression plus que désagréable.

D’habitude, je me détourne des personnes hostiles, mais lui… Il a éveillé quelque chose en moi, quelque chose d’inexplicable. Même sa froideur m’a bouleversée. Et ce regard en partant ! Cet homme m’attire, c’est plus fort que moi. Bien qu'il ait été antipathique et déplaisant, je suis troublée.

Le Jackson Memorial Hospital apparaît devant moi, marquant un changement total d’univers. Après la clinique privée très select, me voici devant l'un des plus grands hôpitaux de la ville, dédié au commun des mortels. Je ne suis pas en avance, Molly doit m’attendre. Je connais bien les lieux et je me gare en habituée sur le parking visiteur.

Ce contrat à l’hôpital est un triple plaisir : un travail, pour des enfants, et la chance de voir Molly plus souvent. Elle est infirmière en néonatalogie, s’occupant de bébés prématurés. Je l’admire, elle aide ces petits êtres à survivre et soutient les parents. Son travail, bien que difficile, lui procure autant de joie que de tristesse. Elle ne pourrait pas faire autre chose.

Je connais Molly depuis un an. Nous nous sommes rencontrées à la salle de sport, suantes et essoufflées, mais riant de nos efforts. Ce fut un coup de foudre amical. Molly, avec ses 27 ans et une vie bien remplie, a une sagesse que je n’ai pas. Elle a ce regard pertinent sur la vie. Nous avons trouvé une amitié précieuse dans nos solitudes respectives, partageant tout depuis notre rencontre : vacances, Thanksgiving, anniversaires, et moments de doute. Molly, seule à Miami, sa famille étant en Arkansas, est devenue ma famille.

Alors que je m’apprête à entrer à l’hôpital, je me sens prête à affronter cette journée, forte de l’amitié de Molly et déterminée à prouver ma valeur.

Je retrouve Molly à la cafétéria de l’hôpital, bondée à cette heure-ci. Mon plateau-repas m’attend déjà grâce à elle. En me voyant, elle me fait signe de la main.

  • J’ai cru que tu ne viendrais pas ! plaisante-t-elle. Tu as eu un coup de foudre pour la cafét de la clinique ?
  • Dis plutôt le bar lounge avec repas servis par des serveurs en tenue ! rectifié-je en m’installant.
  • À ce point ?
  • Ce n’est pas une clinique, c’est un hôtel de luxe !

J'ai faim et je me jette sur mon sandwich préféré : un club géantissime « façon Caesar ».

  • Alors, comment ça s’est passé ? demande Molly en souriant devant mon appétit.
  • Pas très bien, grimacé-je. J’ai rencontré une assistante méprisante, un médecin antipathique, une atmosphère glaciale. Heureusement, je dois travailler quand personne n’est là. Ce n’est pas mon monde.

Je décide de ne pas parler du docteur Law. Je veux d'abord comprendre mon trouble. Molly n’a pas le temps de disséquer mes états d’âme, sa pause déjeuner est courte.

  • Oh oui, je vois. Mais ne t’inquiète pas, ici, l’ambiance est plus chaleureuse et un peu plus speed aussi ! Tu vois qui en pédiatrie ?
  • Le chef du service. Tu le connais ? articulé-je la bouche pleine.
  • Le docteur Luke Balmer… oui…
  • Oh mais oui ! C’est le docteur pour qui tu as le béguin !
  • Hé, moins fort ! Le béguin, non, quand même pas ! se défend Molly, rougissant. Je l’aime bien, comme tout le monde ici ! Son charme et sa gentillesse séduisent tout le personnel. On ne croise pas beaucoup de médecins sexy comme lui, alors, quand on a la chance de travailler avec quelqu'un comme lui…
  • Mais tu rougis ! Je vais enfin pouvoir mettre un visage sur son nom. Je vais peut-être entendre des bruits de couloirs en travaillant dans son service ? Je serai ta taupe !
  • Concentre-toi sur ton job plutôt ! Tu sais ce que je pense des relations entre médecins et infirmières. Si c’est pour finir en salle de repos entre deux consultations, non merci.

Molly m’a déjà raconté les fois où elle a surpris des médecins et des infirmières en pleine sieste crapuleuse dans les salles de repos. Un vrai feuilleton !

  • Et le docteur Balmer est intouchable. Très gentil, mais il ne vit que pour son service, conclut Molly.
  • Un peu comme toi, quoi, souligné-je, malicieusement.

Molly me sourit, fidèle à elle-même. Mon amie est indécrottable. Je l'ai rarement vue s'engager dans une relation sérieuse. Dès que les choses deviennent plus profondes, elle se retire. Ce n'est pas qu'elle soit volage, mais elle n'est pas prête pour une vie de couple stable.

  • Je dois retourner travailler. On a deux cas sérieux depuis cette nuit, et je dois aider les filles, dit-elle en se levant.
  • D'accord, vas-y ! lui répondis-je.
  • Tu sauras trouver le service ? demande Molly avec son ton maternel habituel.
  • Oui, ne t'inquiète pas ! Allez, file !

Molly me quitte avec une étreinte amicale et me glisse qu'elle est ravie de me savoir ici. Moi aussi, d'ailleurs. Après ma matinée, j'avais besoin de me sentir à l'aise quelque part, même si c'est dans un hôpital.

Je termine mon repas et me rends aux toilettes pour m'assurer qu'aucun morceau de salade n'est resté coincé entre mes dents. Je me rafraîchis un peu avant de me diriger vers le service pédiatrique, où je suis un peu en avance. Je fais savoir ma présence et m'installe sur une chaise dans le couloir. L'ambiance est bien différente de celle de la clinique. Les infirmières vont et viennent, des bips résonnent, des médecins concentrés passent. Des enfants et des parents affichent des sourires et des mines inquiètes. Tout se joue ici, toutes les émotions s'expriment dans cet endroit.

Un médecin s'approche de moi. Je le reconnais immédiatement : blond, grand, environ 35 ans mais paraissant plus jeune, avec un regard doux et un sourire chaleureux. C'est exactement comme Molly me l'avait décrit. Il m'inspire immédiatement confiance.

  • Mademoiselle Brighton ? Je suis le docteur Luke Balmer. Désolé de vous avoir fait attendre, dit-il en me serrant la main avec une poignée franche et amicale.
  • Ce n'est pas grave, j'imagine que vous êtes très occupé.
  • Venez, je vais vous faire visiter les lieux, dit-il en m'invitant à le suivre.

Le docteur Balmer m'entraîne vers un point stratégique du service où je peux tout voir : les chambres, le bureau des infirmières, l'accueil, et l'espace jeux des enfants.

  • J'ai sauté de joie quand j'ai appris que l'hôpital nous accordait un budget pour notre service, m'explique-t-il. D'habitude, ce genre de financement est rare. Depuis le temps que je rêve de donner à cet endroit une vraie âme !

Son enthousiasme est communicatif, et je sens que nous allons bien nous entendre.

  • Je sais que votre contrat concerne la décoration de la salle de jeux. Entre nous, j'aimerais égayer tout le service, mais c'est déjà un bon début. Venez, allons la voir.

La salle de jeux est immense, pleine de jeux et de livres, baignée de lumière. Mais la décoration murale est un peu pauvre, avec seulement quelques affiches défraîchies.

  • Vous voyez, nous avons essayé de rendre cet endroit agréable, mais il manque encore quelque chose pour le rendre vraiment accueillant. C'est là que vous intervenez. J'aimerais que, lorsqu'on entre ici, on se sente transporté ailleurs, loin de l'ambiance hospitalière.
  • Oui, comme un voyage vers un autre monde.
  • Exactement. La difficulté est de créer un univers qui plaise autant aux tout-petits qu'aux adolescents. Le service pédiatrique accueille des nouveau-nés et des plus grands.

Je hoche la tête, un peu stressée par ses attentes. Il est tellement investi que j'ai peur de le décevoir.

  • Il n'y a pas beaucoup de monde à cette heure-ci, les enfants finissent de déjeuner. Certains ont entendu parler de votre venue et sont impatients. Ceux qui sont là depuis longtemps ont besoin de nouveauté pour égayer leur quotidien.
  • Vous me mettez la pression ! plaisanté-je.
  • Désolé, sourit-il.
  • Les enfants ont-ils exprimé des envies particulières ?
  • Beaucoup d'idées ! Mais si je peux vous donner une directive, faites-les rêver. C'est ce dont ils ont le plus besoin ici.

Je suis profondément touchée par les mots du docteur Balmer. Comment ne pas l’être quand il s’agit d’enfants malades ? Si mon travail peut apporter un peu de réconfort et d’émerveillement, ce serait un bonheur pour moi aussi !

  • Je ferai de mon mieux, promis-je. Je vais réaliser quelques esquisses que je vous montrerai avant de commencer
  • Parfait. Pourriez-vous venir travailler le soir ? Vous aurez cette pièce rien que pour vous. Je voudrais laisser l’accès aux enfants pendant la journée, explique Balmer.
  • Bien sûr ! Le soir me convient très bien. J’ai un autre contrat dans une clinique, donc je peux cumuler les deux sans problème.
  • Vous vous spécialisez dans les fresques décoratives ?
  • Non, c’est arrivé par hasard. Mon autre contrat est totalement différent.
  • Où travaillez-vous, si ce n’est pas indiscret ?
  • À la clinique Ward. Je m’occupe de la salle d’attente du docteur Law, en chirurgie esthétique. Ce n’est pas du tout la même ambiance.
  • Ah, le docteur Law, dit Balmer en fronçant les sourcils.
  • Vous le connaissez ?
  • Non, juste de nom, répond-il brièvement.

Ai-je rêvé ou le docteur Balmer a tiqué en entendant le nom de Law ?

  • Quand pouvez-vous commencer ? demande-t-il en changeant de sujet. Je dois avouer, je suis aussi impatient que ces enfants.
  • Je peux revenir demain soir avec mes premières ébauches ?
  • J’ai hâte de voir ça ! Je suis souvent là tard, vous me trouverez facilement sauf si je suis en chirurgie.

Le bipeur de Balmer retentit.

  • Je dois vous laisser, dit-il en consultant l’écran. Je suis vraiment heureux de voir ce projet se concrétiser.
  • Je ferai en sorte de ne pas vous décevoir.
  • J’ai vu vos dessins, j'ai confiance. C’est pour cela que je vous ai choisie. Vous avez la sensibilité nécessaire. À demain !

Le docteur Balmer part rapidement, appelé par ses devoirs. Cette entrevue me réchauffe le cœur. Je suis ravie et impatiente de commencer. Le docteur Balmer me laisse une belle impression, et je veux vraiment faire plaisir à lui et aux enfants. Je prends les mesures de la pièce, esquissant des croquis dans mon carnet, sourire aux lèvres. Je vais tout donner ici, c’est certain. Cependant, je ne dois pas négliger mon travail à la clinique Ward, même si l'ambiance y est moins agréable.

Si ça se passe mal à la clinique, je me ressourcerai ici !

Je décide de passer voir Molly pour partager mes impressions. Si elle est occupée, je ne la dérangerai pas. Le service néonatalogie jouxte la pédiatrie, je peux tenter de l’apercevoir. L’ambiance ici est douce et silencieuse. Molly me voit la première en sortant d’une chambre.

  • Tu viens me faire un compte rendu ? demande-t-elle à voix basse.
  • Oui, sauf si tu es trop occupée.
  • Non, vas-y, j’ai cinq minutes. Ça s’est bien passé ?
  • Super bien. Et je comprends pourquoi tu craques sur Balmer. Il est hyper gentil et touchant quand il parle de son service.

Molly rougit, et j’adore la taquiner. Je sens que le sujet Balmer va souvent revenir entre nous ces prochains jours !

  • Oui, bon… bafouille-t-elle.
  • Allez, je te laisse bosser. On se voit demain à la salle ?
  • Oui, à demain ! Je me vengerai sur le tapis de course !

En quittant l’hôpital, je me sens pleine d’enthousiasme et d'énergie pour les projets à venir.

Je quitte Molly et l’hôpital, mais mes pensées dérivent rapidement vers la clinique et le docteur Noah Law. Le contraste entre le docteur Balmer et lui est frappant. Pourtant, c’est bien le chirurgien esthétique qui fait accélérer ma respiration et me donne les mains moites. Pourquoi cette attraction ? Il est tellement froid ! Je ne comprends pas.

C’est ça, le magnétisme du docteur Law agit sur moi. Mon corps et mon esprit ne retiennent que cette attraction irrésistible. J'appréhende de recroiser son autorité glaciale, mais une part de moi veut le revoir, l’observer davantage, comprendre pourquoi il me trouble autant. Cette confusion m’obsède depuis ce matin. Cependant, il ne devra pas me parler de la même manière la prochaine fois !

Je n’arrive pas à décoder l’effet qu’il a sur moi. J’ai besoin de recul pour comprendre cette journée. Le stress doit sûrement jouer un rôle dans tout ça. Oui, le stress…

Avant de rentrer chez moi pour travailler sur mes esquisses, je décide de passer par mon magasin d’art préféré. La propriétaire donne toujours de bons conseils et propose des produits de qualité. J’ai besoin de quelques fournitures pour mes fresques, et peut-être y trouverai-je l’inspiration.

En me garant sur le parking, je ressens la chaleur de 30 °C et mon jean foncé commence à devenir inconfortable. J’ai hâte d’enfiler un short et de me mettre à l’aise chez moi. Soudain, mon téléphone sonne. J’ai reçu un e-mail. Profitant de la climatisation de ma voiture, je le consulte. Mon ventre se serre en voyant l’expéditeur : Léna Chaze.

De : Léna Chaze

À : Alice Brighton

Objet : Fresque

Le docteur Law souhaite vous rencontrer pour discuter de ses attentes concernant la fresque. Rendez-vous demain à 18 heures. Merci de me confirmer votre disponibilité.

Léna Chaze Assistante du docteur Law Clinique Ward

Alors comme ça, Dr Iceman s'intéresse à la fresque maintenant ? Je relève le ton autoritaire de Léna. Il veut me voir ? Je vais devoir me retrouver face à lui, discuter avec lui ? Je ne sais pas si je dois trembler ou me réjouir. C’est l’occasion de faire oublier ma prestation maladroite de ce matin, mais le revoir me trouble déjà.

Hors de question de me laisser intimider cette fois !

De : Alice Brighton

À : Léna Chaze

Objet : RE : Fresque

Bonjour,

Je vous confirme le rendez-vous de demain, 18 heures.

Cordialement, Alice Brighton.

J’ai un peu plus de vingt-quatre heures pour me préparer psychologiquement à cette rencontre.

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