
- Merci madame, bonne journée.
- Bonjour monsieur.
Maryline saisit les articles sur le tapis roulant, les scanna et les passa de sa main droite à sa main gauche, les yeux perdus dans l’immensité de l’hypermarché. Le client empilait ses courses sans un regard pour elle. Il tendit son chèque, qu'elle traita mécaniquement avant de passer à la cliente suivante.
- Merci monsieur, bonne journée... Bonjour madame.
Elle se redressa sur sa chaise, mal à l’aise, détestant la monotonie de ces échanges obligatoires et répétitifs.
Mal à l’aise sur sa chaise, Maryline redressa son buste en passant les premiers articles. Elle détestait l’obligation contractuelle de roucouler les mêmes mots aimables à chaque passage de client. À chaque fin de journée, sa blouse colorée la grattait sur les épaules et la taille. En plus, un de ses tétons s’échappait de son soutien-gorge trop petit, frottant contre le tissu rêche. Elle se sentait surtout enlaidie par les cheveux attachés et les vêtements amples de la franchise. Parfois, Maryline était lourdement draguée par des clients, souvent des quinquagénaires, parfois l’alliance même pas dissimulée dans la poche. Elle sourit jusqu’aux oreilles à la vieille dame, qui répondit par un sourire poli, tout en chargeant son caddie. Maryline savait qu’en sortant du magasin, la retraitée aurait oublié son visage ; elle-même, d’ailleurs, ne parvenait à se souvenir des clients que s’ils étaient exceptionnellement laids – plus rarement s’ils étaient beaux – ou s’ils avaient un visage franchement antipathique.
Dans son costume trop étroit, le gérant remonta la file des caissières dans sa direction, les fixant successivement. Maryline accéléra le défilé des produits devant la lecture des codes-barres : de toute la journée, il était le seul à l’observer. Mais pour la surveiller.
Une fois revenue à son appartement, elle ouvrit en grand la porte-fenêtre de sa chambre, et alluma une cigarette. Après l’abandon de sa licence de sociologie, Maryline avait pris ce travail provisoire dans un hypermarché dans le but d’emménager dans ce quartier, et se désolait de voir que dix-huit mois plus tard, elle travaillait encore au même endroit, et restait célibataire. Cela la rendit triste. Elle s’en exonérait en rendant responsables ses horaires décalés, l’obligation de travailler le dimanche matin, ce qui lui faisait renoncer à sortir le samedi, et sa fatigue récurrente. Plus que le célibat, c’était surtout le fait que nul ne pensait à elle qui lui pesait. Elle avait essayé les sites de rencontres – ne s’était jamais fait séduire, mais uniquement proposer des plans cul – et les associations humanitaires, dont elle était repartie lassée de bons sentiments et de la moyenne d’âge. Au yoga, elles n’étaient que des femmes, et Maryline en était à guetter les mariages de ses amies, et à les presser d’organiser des soirées pour provoquer des rencontres. Elle avait l’impression d’être sans prise sur la société, d’y vivre sans participer au monde.
Elle étira ses épaules et ses poignets en regardant par la fenêtre : sa chambre et son salon donnaient sur une série de barres en arc de cercle, une douzaine de montées d’escalier d’une vingtaine d’étages, toutes en blanc cassé avec les mêmes balcons et les mêmes gouttières. Elle calcula rapidement que cela représentait peut-être un demi-millier de personnes qui voyaient de leurs fenêtres les mêmes jeux d’enfants avec son petit bosquet rachitique et la pelouse pelée. Toujours face à la fenêtre, Maryline déplia ses jambes, longues, galbées, peut-être un peu trop musclées. Le footing la défoulait des heures assises. Lorsqu’elle secoua ses longs cheveux bruns, ses seins bringuebalèrent de haut en bas et jaillirent de nouveau du soutien-gorge. Cela l’agaça : elle remonta son tee-shirt sur sa poitrine, et entreprit de les remettre en place en jurant.
En rabaissant son tee-shirt, Maryline réalisa qu'elle l'avait fait devant la fenêtre ouverte, et plusieurs hommes étaient accoudés en face. Malgré les quarante mètres de distance, elle remarqua qu'un d'eux la fixait. Gênée, elle rejoignit la cuisine, sur l'autre façade.
Elle savait que tout retard à l'ouverture de la caisse serait signalé au gérant. Maryline courut depuis l'arrêt de bus et se mit à trottiner une fois dans le champ de la caméra de surveillance. Elle savait que les vigiles de l’après-midi, des quadragénaires au crâne rasé, la regardaient souvent. En découvrant que toutes les cabines étaient déjà occupées par l’équipe du matin, elle fut furieuse. C’était son troisième retard du mois. Des bribes de conversations insignifiantes traversaient les cloisons. Ses collègues étaient interchangeables, enchaînant des CDD et des missions d'intérim, aspirant au Graal d'un mariage stable ou d'un CDI. Quelques-unes étaient là depuis dix ou quinze ans, enchaînées à des horaires morcelés, sans perspective d'avenir en cas de licenciement ou de démission. Ces réflexions achevèrent de démoraliser Maryline.
Son agacement fut remplacé par un frisson en regardant la caméra. Elle releva son tee-shirt à toute vitesse, face à l’objectif, dévoilant son soutien-gorge pigeonnant. Puis elle quitta ses baskets et baissa son pantalon. Pour accéder à son casier, en bas, Maryline se retourna, jambes serrées, et sortit son uniforme. Elle se sentait observée, ce qui la rendait à la fois nerveuse et joyeuse. Elle rangea ses affaires et termina de boutonner son chemisier en sortant des vestiaires. Aucune collègue n’avait eu le temps de sortir des cabines.
Durant la journée, Maryline multiplia les erreurs d’inattention, mais parvint à équilibrer sa caisse en fin de journée en rendant la monnaie au dernier client avec tellement de pièces qu’il ne remarqua pas qu’il manquait 2,40 €. Elle repensait aux instants passés seule avec la caméra, en gardant une agitation intérieure. Chez elle, elle savait déjà ce qu’elle ferait : se changer entièrement, devant la fenêtre de sa chambre.
Elle enleva son tee-shirt plus lentement que d’habitude, levant haut les bras. De loin, cela devait donner une impression de grosseur à ses seins ronds. Ensuite, elle secoua ses cheveux et se toucha les seins, puis posa ses mains sur les hanches en se penchant en avant, formant un décolleté vertigineux. Elle se rappela alors avoir crié "Arrête de mater mes seins, bordel !" à une terrasse de café, l’été précédent.
Maryline tortilla ses fesses pour baisser son pantalon. En le retirant, elle se rappela du barman, ou peut-être du chargé de TD de première année, qui lui avait fait des cunnilingus mémorables. Levant les jambes comme une majorette, elle quitta son pantalon. Elle s'accroupit pour le plier puis fit face à la fenêtre, sans oser relever la tête. En enlevant son soutien-gorge, elle découvrit que ses tétons avaient durci. Savourant cette nudité publique, elle réalisa son excitation sexuelle. Les bretelles tombèrent, et ses seins, soutenus par son bras droit, se libérèrent. Ils semblaient plus lourds, comme chargés d'une nouvelle attractivité. Une langueur joyeuse la fit tituber jusqu'au lit, où elle se vautra. Écartant les jambes, elle posa sa main sur sa chatte, étonnée de la trouver mouillée. Une simple pression lui arracha une plainte, et chaque mouvement la fit sourire. Quand sa main empoigna son sein, une nouvelle décharge d'excitation la traversa, son majeur cherchant à entrer malgré la culotte, sa paume écrasant son clitoris. Elle jouit.
À table, elle tenta d'oublier son exhibition, mais en relevant ses courriels, elle vit un homme dans l'immeuble d'en face qui fixait sa fenêtre. Il était trop loin pour être bien distingué, mais elle comprit qu'il attendait et espérait. Quelqu'un, enfin, l'attendait quelque part.
Les jours suivants, Maryline s'habilla et se déshabilla à son balcon. Le matin, elle adorait enlever son pyjama devant la porte-fenêtre et marcher nue vers la salle de bains. Cela lui donnait des frissons. Ensuite, elle revenait à petits pas et s'habillait en s'exposant à la vue de ses voisins d'en face. Le soir, elle enlevait ses vêtements langoureusement et fumait sa cigarette allongée sur le transat de son balcon, en sous-vêtements.
Rapidement, Maryline prit l'habitude de monter le chauffage et de se changer en rentrant du travail. Contrairement à la plupart des femmes qui optent pour des vêtements confortables, elle choisissait ses plus belles tenues pour préparer son repas.
Le troisième jour, au crépuscule, Maryline étendit son linge et arrosa ses plantes nue. Ce geste la bouleversa tellement qu'elle dut se rendre sur son lit pour se soulager. Allongée sur le dos, elle frotta délicatement son clitoris, éveillant des ondes de plaisir dans son ventre. Agitant les jambes, elle se mit à quatre pattes, la main droite sur sa chatte et l'autre sur l'oreiller. Se masturbant plus fort, elle commença à gémir. La lampe de chevet allumée projetait sa silhouette sur les placards, tandis que le plaisir traversait ses jambes. Introduisant lentement un doigt, elle le bougea à l'intérieur. Rampant sur le couvre-lit, elle se tourna dos à la fenêtre, écarta davantage les jambes et redressa ses fesses en une position indécente. Cette posture lui procura des frissons alors qu'elle s'imaginait observée par des hommes depuis les balcons d'en face. Maryline jouit intensément, ressentant une violente décharge à travers tout son corps avant de s'effondrer sur le lit, prostrée.
Le lendemain, elle répéta la scène, cette fois face à la fenêtre. Après avoir mangé et passé l'aspirateur nu, elle récurait une casserole quand on sonna à la porte. Les visites inattendues étant rares, elle s'essuya les mains sur son tablier et se dirigea vers la porte, inquiète. Par le judas, elle vit une femme d'âge moyen, sans maquillage, aux cheveux courts et vêtements amples de mère de famille. Maryline ouvrit la porte sans grande inquiétude, se demandant ce qu'elle avait pu faire pour déranger.
La femme, plus petite, brune et sereine, la dévisagea en silence de la tête aux pieds. Son regard s'attarda sur les escarpins vernis, les bas noirs, la jupe droite moulante et le corps de Maryline. En scrutant ses seins, le visage de la femme prit une expression de jalousie. Le bruit de l'escalier ajoutait au malaise ambiant. La femme, prenant un air dégoûté, examina le décolleté, les épaules nues et les longs cheveux noirs de Maryline. Finalement, avec un ton cassant mais poli par convenance, elle prit la parole.
- C’est bien vous qui vous baladez nue devant vos fenêtres ?
Maryline resta sans voix, découvrant que son public pouvait inclure des femmes et qu'ils pouvaient venir la confronter.
- J’ai compté les étages et les montées, continua la femme. Hier, j’ai sonné chez une vieille dame, mais là, je suis sûre que c’est vous.
Ébahie, Maryline se taisait. Sa bouche entrouverte montrait ses lèvres peintes en rouge et ses dents parfaites. Cela agaça davantage la femme.
- Vous êtes vicieuse. Je suis sûre que ça vous plaît de vous montrer à poil. Vous pensez à ceux qui regardent ?
Piquée, Maryline balbutia agressivement.
- Je suis chez moi, je fais ce que je veux. Et puis les hommes étaient plutôt contents, non ?
- Donc, vous saviez bien qu’ils vous regardaient ? Vous le faites exprès, sans penser aux personnes que ça choque ?
Les lèvres de Maryline se pincèrent. Sans réagir, elle entendit une porte s’entrebâiller sur le palier. La femme élevait la voix :
- Et vous vous rendez compte pour les enfants ? Déjà avec toute la pornographie sur internet, les affiches de pub, et maintenant vous, qui vous vous exhibez devant les fenêtres ? Ma fille de huit ans qui me demande si c’est normal ? Mon fils qui veut savoir si moi aussi je fais pareil ?
Maryline regardait ses pieds.
- Alors maintenant, si je vous revois faire, j’appelle la police tout de suite.
- Mon complice ?
Elle releva la tête, les yeux ronds.
- Oui, votre petit frère ou votre copain, celui qui faisait payer aux enfants de l’immeuble pour voir. Tous les garçons de l’immeuble d’en face depuis quinze jours ; dix euros l’entrée, trente la location de jumelles. Et un euro par photo, mon fils y a passé son argent de poche du mois.
Elle tourna les talons vers l’ascenseur, pivota à nouveau, furibonde :
- Je suis sûre que vous avez dû vous faire plaisir en pensant au fric. Si vous recommencez, il servira à vous payer un avocat.