
Qui est Léopold ?
Un simple mannequin de vitrine. Wanda l’a choisi avec soin, dans un magasin spécialisé de la Porte de Versailles.
Il fallait que Léopold soit grand, bien découplé, ait un teint bronzé, des cheveux blonds, des yeux bleus. Quelle émotion quand Wanda l’a déballé dans son petit appartement de la proche banlieue sud ! Elle se souvient des retouches qu’elle lui a apportées à coups de pinceau, pour l’idéaliser, le personnaliser, lui donner un regard de mâle sûr de lui.
Qu’il soit bien à elle – et paye pour les autres !
Pour les hommes qui ne lui adressent pas un regard quand elle passe dans les rues, ou au contraire, avec un sourire amusé, regardent se démener son popotin de petite boulotte.
Pour les gigolos qui ne l’invitent jamais à danser un slow au salon de thé de La Coupole.
Pour les collègues qui ne lui font jamais d’avances dans la salle des profs de son lycée.
Pour ses élèves de terminale, qui ne viennent jamais lui demander d’explications complémentaires à la fin de ses cours d’anglais.
Et comme si ça ne suffisait pas, Wanda, quand elle fait ses courses, scrute son reflet dans les vitrines des boutiques de vêtements. Quelle humiliation quand sa forme ramassée apparaît au milieu des mannequins des deux sexes, hyper-élancés, super-sapés ! Elle, elle est toujours mal fagotée dans ses robes rouges ou jaunes, à la fois trop longues et trop près du corps. Elle voudrait se montrer tout en se cachant : le résultat est catastrophique.
Pourtant, elle possède des atouts : un regard noir, une voix vibrante. Et surtout : le trésor qui se cache entre ses jambes.
S’il y a une chose dont Wanda est fière, c’est de l’aspect de son sexe. Il y a de quoi. La perfection absolue. Ni trop sauvage, ni trop domestique. Complémentarité des couleurs, modelé des formes, richesse de l’ensemble... où le charnu et le velu, sans cesse, se pondèrent et se répondent. À tomber raide !
« Oui, pense-t-elle, la nature m’a pourvue, là, d’une véritable œuvre d’art — avant de casser le moule. »
Les jours de congé, Wanda, toutes lumières allumées, s’examine dans la grande glace à trois faces de sa salle de bains. Détail après détail, elle compare sa vulve à celle des filles des magazines porno. Pas de doute, la sienne enfonce toutes les autres sans exception ! Quel malheur, une petite bonne femme de rien du tout dotée en secret d’un sexe de déesse !
Oui, Wanda est maudite. Mais elle s’est révoltée, et elle a mis au point toute une stratégie... électromécanique.
Comme elle a toujours vécu seule, elle a dû s’initier toute seule, mais avec succès, au bricolage. Au sous-sol du BHV, tout le monde drague, le samedi soir jusqu’à vingt heures. Mais à elle, là non plus, il n’arrive jamais rien. Enfin si, quand même, de-ci de-là, des clients lui adressent la parole. Mais ce ne sont pas des hommes à ses yeux, plutôt des plats de nouilles. Elle sait très bien à quoi ça ressemble, un vrai mec. Ça en jette, ça brille, ça la dépasse d’une tête. Comme Léopold.
Ses talents de bricoleuse se sont avérés bien utiles quand il lui a fallu rajouter au mannequin ce qui lui faisait défaut. Dans un sex-shop proche du BHV, rue Saint-Denis, elle a trouvé le vibromasseur qui convenait : le plus gros, le plus puissant, le plus léger. Elle a fixé la petite machine au ventre de l’eunuque, en inventant des perfectionnements et des raffinements pour faire plus vrai.
Désormais, quand elle rentre chez elle, le soir, Wanda a la satisfaction de constater qu’un homme l’attend au salon. Beau, silencieux, élégant, l’air supérieur, Léopold se tient immobile dans un fauteuil, un whisky à la main. Il ne remercie pas quand elle allume le havane qu’il tient serré entre ses lèvres minces.
Elle est sur les nerfs à cause de toutes les contrariétés qu’elle a endurées pendant sa journée. Si elle s’écoutait, elle lui balancerait un aller et retour de baffes à le faire tomber de son siège, le robot ! Mais non. Elle se retient. La soirée ne fait que commencer. Graduer ses plaisirs de femme, tout est là. D’abord, manger et boire, beaucoup et vite, pour se sentir mieux. Elle met une pizza quatre fromages au micro-ondes. En attendant que ça cuise, elle trinque avec Léopold, avale à la file plusieurs scotchs. Si vite que le glaçon dans son verre n’a pas le temps de commencer à fondre.
La pizza, dorée à point, découpée en quatre, s’étale sur la table basse. Elle y dépose une multitude de rondelles de chorizo, qui chauffent au contact du fromage fondant. Ça embaume. Elle mastique debout, à pleines mâchoires, le verre à la main, sous le regard de l’homme au menton levé, impassible dans son fauteuil.
- Je bouffe ! Oui, je bouffe, et alors ? Je ne marche pas aux salades bio, moi !
Chaque fois, avant d’attaquer une nouvelle part de pizza, elle la propose à l’invité, qui se contente de la toiser, cigare fumant au bec. Elle hausse les épaules, ouvre une bouche comme un four, pousse le quart de roue dedans, en soufflant pour ne pas se brûler.
Quand elle a tout mangé, ça va mieux, mais elle a chaud partout. Ses vêtements la collent. Elle se dégoûte, ressent le besoin d’une douche. D’un pas rapide, elle se dirige vers la salle de bains, en vidant son verre. De retour en peignoir-éponge, elle se sert un nouveau whisky, s’adresse à Léopold d’un ton rogue :
- J’espère que je te plais, au moins, toi ? N’oublie pas que tu n’es qu’un gigolo à mes crochets. À ma botte !
Le mannequin en smoking blanc l’agace. Elle le saisit par ses revers de veston, le relève, l’installe debout dans une attitude d’homme du monde, verre et cigare aux doigts.
- Tu es à mon service, grand con. Je veux que ça marche, vu ? Avec lui, au moins, elle a tous les droits, y compris celui de se croire une belle femme injustement délaissée.
Avec lui, au moins, elle a tous les droits, y compris celui de se croire une belle femme injustement délaissée.
- Regarde-moi, grand con ! Rince-toi l’œil !
Elle ouvre son peignoir devant lui, qui la domine de la tête et des épaules.
- Profites-en, je suis une vraie femme, moi... pas une de ces anorexiques, là... prépubères à la con !
Après la douche, elle a passé son sexe au sèche-cheveux, pour faire bouffer la fourrure noire, dégager le clitoris mauve. Elle encadre sa vulve de ses mains ouvertes en éventail.
- Regarde-moi ce bijou ! Tu vois comme c’est bien dessiné, comme tout est en bien en place, en harmonies colorées...
Elle effleure les différentes parties.
- Ma toison en triangle... mes petites lèvres comme des pétales... mon bouton en forme de grain de grenade... Quelle merveille ! Quel gâchis ! Les hommes s’arrêtent à ce que j’ai de moche autour. Alors que c’est ça, l’essentiel : « la chatte », comme ils disent. Et puis attention, je suis drôlement chaude. Je suis la femme idéale... et personne ne le sait !
Elle s’approche pour mieux s’exhiber, soulève ses seins lourds, dont elle tapote le bout rose-thé pour le faire pointer. Elle voudrait se faire téter, mais Léopold est si grand qu’elle manque se brûler le mamelon à la braise de son cigare. Elle recule en le couvrant d’injures, se ressert à boire.
La régularité des traits du jeune homme la trouble. Elle se figure qu’elle a invité tel ou tel de ses élèves préférés. Ah, comme elle aimerait faire son cinéma sur son bureau, en pleine classe !
- Tu n’es pas excité, tu ne bandes pas... avec tout ce que je te montre ! Dis, grand con !
Sa colère monte. À bout, elle saisit Léopold, lui arrache son verre et son cigare. Elle plie le mannequin, le met à quatre pattes, tête relevée, comme un chien d’arrêt. Elle le chevauche, lui tire les cheveux, dont elle arrache des poignées en criant des insultes. En même temps, elle se frotte contre le dos musclé sous le veston infroissable. Voilà, elle a déjà joui. C’est toujours ça de pris !
Descendue de monture, elle vient se placer devant le visage levé aux traits figés. Elle lui offre son sexe à renifler, tout en martelant de fortes claques les joues, qui refusent de rougir.
- Ça sent la vraie femme, hein, dis, connard ?
Elle ajoute plus bas :
- Beau, jeune, sans défense. Je t’ai payé, je t’ai machiné, tu m’appartiens.
Elle remet Léopold debout, le déshabille en commençant par le nœud papillon. Elle lui arrache tout, jusqu’aux chaussettes, aux chaussures hors de prix. Le salaud ne bande toujours pas. Le vibromasseur prêt à l’emploi se trouve encastré derrière la trappe discrète qu’elle a pratiquée au bas-ventre. Elle jette Léopold par terre.
- À mes pieds, chien ! Fais voir tes fesses !
Elle empoigne une cravache, fouette de la tête aux pieds le pantin qui roule en rebondissant sur la moquette. Elle frappe avec tant de rage qu’elle arrache un doigt, le nez, ferme un œil. Elle ne s’affole pas, elle consomme un Léopold par semaine, qu’elle remplace dès qu’elle l’a détruit. Ils sont faits pour ça.
Elle s’acharne à coups de cuir sur le nombril : là est fixé le bouton- pression qui commande le mécanisme de l’érection. Le petit panneau carré du cache-sexe ne tarde pas à basculer. Dans un discret bruit de rouages, le gode sort de sa cachette.
- C’est la punition qui te fait bander, hein, grand con ?
Elle étend Léopold sur le dos, l’enfourche cravache levée, mais elle a du mal à s’empaler sur l’épaisse tige que le moteur fait vibrer. Elle s’ouvre la fente à deux doigts, fait mouvoir son bassin, hurle ses ordres :
- Vas-y, baise-moi ! Il faut tout leur apprendre, à ces grands cons !
Elle s’agite sur son esclave jusqu’à ce que le pénis entier soit logé en elle. Elle se soulève, se laisse retomber, lacère le smoking à coups de badine. Le visage aux traits parfaitement réguliers en prend pour son grade.
- Saleté ! Oui ! Chéri ! Comme ça ! Encore !
Le grand corps étendu craque sous les chocs de la croupe. Casser le beau jouet, c’est le grand plaisir. Elle aime tant déballer le suivant, le parer à son goût, avant de le violer, le piétiner, le briser, puis le jeter aux ordures. En jouissant une fois de plus, Wanda presse à pleine main la poire souple des testicules-réservoirs pour s’offrir une éjaculation en geyser. Puis elle s’affale sur le robot, qui n’a pas débandé.
Il est deux heures du matin. Léopold est en pièces. La tête a valsé, le bassin est défoncé, le thorax crevé. Wanda, qui s’était endormie de tout son long sur le rebut, se secoue, hébétée.
- Dans quel état je t’ai mis, mon pauvre...
Elle se sent criminelle. Si ç’avait été un vrai humain, il y aurait du sang partout. Ne pas se laisser abattre : elle n’en a pas encore fini avec lui. Il faut se débarrasser du cadavre.
Armée d’un tournevis, elle dégage le pénis à piles. L’appareil resservira le prochain coup. Elle range la tête martyrisée avec les précédentes, dans l’armoire aux trophées. Avec des gestes lents, elle ramasse les restes couleur chair dispersés aux quatre coins du salon. Il faut encore achever d’écrabouiller les bras et les jambes à coups de talon, ouvrir un sac-poubelle neuf, y entasser les débris, vider ses ordures par-dessus, avec la bouteille de scotch vide, l’emballage de la pizza, la ficelle du chorizo.
Pas question d’abandonner tout ça dans la cour de son immeuble. On pourrait l’accuser. Les gens voient des serial killers partout.
Elle s’habille à la va-vite, d’un tailleur sans rien dessous. Elle empoigne le sac-poubelle plein, prend l’ascenseur la peur au ventre, se glisse dans sa voiture sans claquer la portière. Elle roule dans les rues désertes, jusqu’à la place d’Italie. Après avoir inspecté l’esplanade, elle balance le paquet dans la grande benne du centre commercial Galaxie...
Elle aussi se sent brisée, tout d’un coup. Elle retourne à sa voiture en titubant. Vite, un lit où s’effondrer.
Demain, après le lycée, elle ira s’acheter un nouveau Léopold, du côté du Père-Lachaise, cette fois : dans le Sentier chinois du XIe. Dans une vitrine, elle a repéré un grand blond au regard impérieux, qui lui fait presque peur. Elle va lui apprendre à vivre, à celui-là ! Il est si proche de la perfection qu’elle n’aura presque pas de retouches à lui apporter. Juste lui greffer l’indispensable complément génital.
Elle se gare au pied de son immeuble. Toutes les fenêtres sont noires, à l’exception d’une seule. Encore un pauvre type qui soigne son insomnie devant la télé ! Elle pourrait lui faire une visite, armée d’un hachoir. Non, c’est son propre appartement : elle a oublié d’éteindre avant de sortir.
Elle n’a cours qu’à midi, le mardi, elle va pouvoir faire sa nuit. Elle sera d’attaque, pour entamer une nouvelle journée parmi ces ordures de mecs.
« Ordures ! »
La voilà qui verse une larme salée en pensant à sa divine chatte en jachère...