
Je suis une branleuse invétérée. Certains sont dépendants de l’alcool, du tabac, de la cocaïne. Pour ma part, je n’ai aucune des addictions du siècle. Dans mon cercle d’amis, je passe même pour une fille excessivement sage, et pour cause : mon seul vice est invisible. Ma came à moi, c’est la masturbation. Je me branle plusieurs fois par jour, n’importe où et n’importe quand. Mais jamais sans raison.
La moindre allusion, le moindre stimulus, la plus infime incursion d’une pensée sexuelle dans mon esprit provoquent en moi des démangeaisons si agaçantes que je me dois de les soulager au plus vite. Comprenez-moi bien : dans ces moments-là, je ne suis pas maîtresse de moi. C’est un feu qui brûle entre mes jambes et menace de me consumer si je n’obéis pas à l’appel de mon clitoris. Exigeant, surdimensionné, dardant hors de son capuchon tel un champignon vénéneux, il dresse hardiment sa tête rouge et replète entre mes jambes, et réclame l’objet qui saura le chatouiller jusqu’à l’explosion. Mais cela ne lui suffit pas, jamais. C’est un goinfre, une tanche vorace, une goule à l’appétit démesuré qu’aucun orgasme ne parvient à apaiser. Tel un minotaure impitoyable, il exige son tribut journalier de frictions et de jouissances dans des éclats qui me laissent impuissante. Assujettie à sa volonté, indifférente aux convenances, je m’exécute : sans relâche je taquine, je frotte, j’astique. Mes gestes suivent un rituel immuable. La délivrance, quand enfin s’estompe la brûlure, agit sur moi comme un rail de coke. Oui, je suis une vraie junkie, une défoncée du clito, une toxico de la branlette, et le pire, c’est que ça ne date pas d’hier.
Le saviez-vous ? À l’inverse des garçons, qui découvrent les plaisirs solitaires avec l’adolescence, les filles, elles, peuvent jouir presque dès la naissance. Leur clitoris « fonctionne » dès leur plus jeune âge, et de surcroît, elles peuvent jouir à répétition. Avouez que devant une telle injustice de la nature, on comprend pourquoi les hommes ont si longtemps regardé leurs épouses de travers, au point de les asservir par tous les moyens possibles. Les capacités de jouisseuses des femmes sont tout simplement aberrantes comparées aux pauvres performances de leurs camarades masculins. Mais trêve de diversions.
En ce qui me concerne, j’ai connu mes premières émotions d’ordre masturbatoire dès l’âge de six ans.
Le cinéma
Si les cinéastes savaient combien leurs choix peuvent influencer la vie sexuelle de leurs jeunes spectateurs, ils réfléchiraient davantage avant de diffuser leurs images. À moins qu’ils le sachent pertinemment, et le fassent à dessein, ce qui finalement est assez louable, car encore aujourd’hui mes fantasmes leur doivent une fière chandelle. J’étais en maternelle lorsque j’ai fait un constat pour le moins déstabilisant : quand je regardais un film qui montrait ou suggérait des bisous entre un homme et une femme, j’étais soudain prise d’une envie pressante de faire pipi.
Oh, n’allez pas vous mettre en tête que mes parents étaient des irresponsables qui me laissaient visionner n’importe quoi. Des images plutôt innocentes, comme j’en voyais dans Angélique, Ghost, L’Étudiante, Dirty Dancing... le genre de films qui se regardent « en famille », suffisaient à déclencher le phénomène. Il m’a fallu assister à plusieurs scènes de baisers suggestifs et de galipettes sous les draps pour en venir à cette troublante conclusion. Du reste, je me suis également aperçue que mon envie était d’autant plus pressante que l’acteur était à mon goût.
Forte de ce constat, je me précipitais aux toilettes pour soulager ma vessie, envahie par un vague sentiment de honte qui me poussait à me soustraire aux regards de mes proches. Mais quelle était ma surprise en découvrant qu’aucune goutte d’urine ne coulait de mon sexe ! Rien. Mais d’où venait donc cette envie qui me brûlait l’entrejambe ?
Le bâton de glace
Je ne fus pas très longue à le découvrir. Le hasard fait bien les choses. En l’occurrence, il mit sur ma route une petite fille encore plus précoce que moi. Elle s’appelait Sabrina, ses parents venaient d’emménager dans l’appartement au-dessus du mien. Ma nouvelle voisine est vite devenue ma meilleure amie. Nous étions toujours fourrées chez l’une ou chez l’autre, partageant jeux et émotions enfantines. C’est sans doute parce qu’elle avait décrété que j’étais sa nouvelle « sœur » que Sabrina m’a jugée digne de confiance. Elle avait un secret à partager, un secret de la plus haute importance, disait-elle. À l’abri des regards, assise les jambes écartées sous son tipi Pocahontas, Sabrina m’a montré comment elle se titillait un minuscule morceau de chair coincé entre les renflements de son sexe qu’elle nommait « sa lentille », à l’aide d’une aiguille à tricoter.
L’état dans lequel ce jeu étrange la mettait était des plus fascinants. Ses yeux mi-clos prenaient une expression absente, ses joues rougissaient, la sueur perlait à ses tempes... de sa bouche entrouverte s’échappait un râle indistinct, dont l’intensité augmentait à mesure qu’elle s’activait.
Terriblement intriguée, je me suis essayée, le soir même, à ce nouveau jeu, avec, non pas une aiguille à tricoter (ma mère n’avait jamais été branchée travaux de dames), mais un bâtonnet de glace, vous savez : ce morceau de bois qui vous reste entre les mains lorsque vous vous êtes régalé de l’esquimau ? Et le miracle s’est produit sur moi aussi. Miracle d’autant plus salvateur qu’il m’a enfin permis de faire le lien avec mes curieuses envies d’uriner et les films qui les déclenchaient. En effet, tandis que les picotements se répandaient dans mon bas-ventre, l’inondant de frissons agréables, les images de baisers s’imposaient de nouveau à mon esprit.
Et plus vite je me frictionnais « la lentille », plus langoureuses elles devenaient. Sous l’emprise de ces caresses imaginaires et des frottements du bâtonnet, j’ai eu mon premier orgasme. Une houle aux bienfaits insoupçonnés m’a soulevé le ventre, tandis que j’étouffais mes jappements au creux de ma main. Un cataclysme de premier ordre dans ma vie de petite fille modèle. J’étais heureuse, détendue, et déterminée à recommencer dès que possible l’expérience.
Je crois bien n’avoir jamais failli, depuis ce jour-là, à l’habitude de me masturber quotidiennement. Rituel du coucher par excellence, les ondes de l’orgasme me berçaient jusqu’à l’endormissement. Je gardais précieusement le bâton de glace dans un tiroir de ma table de chevet, mais ce n’était pas sans risque. Il arrivait que ma mère, pensant qu’il s’agissait d’un déchet comme un autre, le jette. Pour parer à ces drames, j’avais pris l’habitude, aux beaux jours, de faire une réserve de bâtonnets que j’entreposais dans mon bureau.
La brosse à cheveux
Puis, quand l’adolescence vint semer en moi un torrent d’hormones en fusion, mes attouchements, mus par le désir naissant pour les garçons et les idées odieusement perverses qui bourgeonnaient en moi, se firent plus intenses, plus furieux, plus fréquents. C’est alors que m’est venue l’habitude, ou devrais-je dire le besoin, de me masturber ailleurs que chez moi. La première fois que cela m’est arrivé, j’étais au collège. Très attirée par un de mes camarades, j’avais, en tant que déléguée, fait en sorte de le placer juste devant moi sur le plan de classe que le professeur m’avait demandé d’établir.
Toute la journée, je jouissais de la vue de son profil magnifique, de sa belle nuque dégagée, de la délicatesse de sa main qui se levait pour répondre aux questions. Toute la journée, je m’imaginais dans ses bras, recevant ses baisers sur la bouche, le sexe, les fesses. Résultat : mon minou était un véritable brasier. Incapable d’attendre le soir pour soulager mon clitoris, j’ai décidé d’aller me caresser dans les toilettes pendant la récréation. Je n’avais pas mon précieux bâtonnet sur moi, que faire ? J’ai fouillé dans mon cartable : une petite brosse à cheveux de voyage dont la poignée évoquait la forme de mon bâtonnet pourrait peut-être s’y substituer. J’ai alors découvert, dans des halètements d’extase, un procédé encore plus efficace que le bâton de glace. La poignée était creusée en son milieu et présentait une rainure qui s’adaptait parfaitement à la forme de mon bouton. Dès lors, je ne me suis plus jamais séparée de ma brosse à cheveux. Le satané ustensile m’a rendu bien des services. En chauffant le métal entre mes paumes avant utilisation, et en l’imprégnant de salive, j’imaginais que c’était une langue de garçon qui me léchait la vulve. D’autres fois, c’était un pénis qui se frayait un chemin au cœur de mon intimité incandescente... Je ne sais combien j’ai eu d’orgasmes en me figurant ces scènes de coït, des centaines peut-être, mais je sais combien j’en ai eu la première fois que j’en ai fait l’expérience dans ma chair : aucun. Rien. Nada. Pas l’ombre d’un spasme.
J’étais en première et j’avais jeté mon dévolu sur un garçon de ma classe. Un redoublant, qu’on soupçonnait de l’avoir « déjà fait ». Même avec du recul, je ne peux pas dire qu’il s’y est mal pris. Pourtant, je suis restée de marbre pendant que son sexe me fouillait. Le massage était agréable, mais il n’a provoqué rien d’autre que cela : une vague sensation de bien-être. Les expériences suivantes se sont révélées toujours aussi infructueuses.
Des années durant, j’ai multiplié les aventures avec différents garçons, mais la conclusion était toujours la même : je ne jouissais avec aucun d’entre eux. Je m’étais trop branlée, j’avais trop pris mon pied en solitaire, pensais-je, et à présent, j’en payais le prix par mon inaptitude à ressentir le moindre plaisir avec les hommes. Bien sûr, je parvenais à avoir quelques orgasmes quand je rencontrais un bon lécheur, mais bien souvent, je devais me finir au doigt.
Certains partenaires, qui avaient flairé en moi l’hyper-clitoridienne, m’ont exhortée à me caresser pendant l’acte, mais les frottements de leur sexe en moi annihilaient les sensations que mes caresses me procuraient. Vagin et clitoris ne faisaient pas bon ménage. J’en ai pris mon parti, et j’ai redoublé d’ardeur pendant mes séances de masturbation solitaire. Triste déchéance pour un être doué depuis le plus jeune âge d’une si belle sensibilité pour les choses de la chair...